Ça y est, une nouvelle appli débarque dans la vie des jeunes ! Sans encore détrôner TikTok, elle commence à lui faire sérieusement de l’ombre…Et elle est française ! Particularité du dispositif ? Télécharger TenTen permet aux ados d’utiliser leur smartphone comme un talkie-walkie, via l’envoi de messages vocaux jour et nuit, même quand le téléphone est verrouillé…Et il y a du souci à se faire puisque Ten Ten est n°1 des applis les plus téléchargées sur Android comme sur Apple, depuis son lancement en avril. Heureusement, les ados eux-mêmes ne sont pas dupes et ils nous ont livré toutes les bonnes raisons pour lesquelles, Ten Ten, c’est vraiment pas la peine !
1- Ten Ten, la nouvelle appli préférée des ados… vraiment ?
Estelle, 16 ans, en troisième dans le Lot-et-Garonne, n’est pas convaincue : « Je pense que je m’en fiche si le gouvernement veut l’interdire. Ce n’est pas l’application la plus importante ! Ce n’est pas une application très utile ». Katia, 14 ans, élève de quatrième dans les Hauts-de-Seine, renchérit : « Je l’utilise rarement et il suffit de mettre son portable en silencieux pour ne pas être embêté . Chez les jeunes, on télécharge beaucoup Ten Ten car c’est la nouveauté du moment, mais côté utilisation, on reste raisonnable.
Melina, en troisième au collège Paul Verlaine aux Mureaux, dans les Yvelines, le confirme : « Je l’utilise très peu, juste quand je m’ennuie. En moyenne je suis 4 heures par jour sur les réseaux, mais sur Tenten, j’y suis juste quelques fois dans la semaine ». Comme si cela n’était pas suffisant que les 12-16 ans passent déjà en moyenne entre 1,5 et 2 heures par jour sur les réseaux sociaux, vont-ils maintenant être joignables à tout moment ?
Pas si sûr ! Beaucoup d’ados désinstallent Ten Ten peu après l’avoir essayée, tout comme Jaden, 15 ans, élève au lycée Lucien Voilin, à Puteaux, dans les Hauts-de-Seine : « Mon appli était allumée en cours. Quelqu’un a fait des bruits et je me suis fait prendre mon téléphone par le prof. Du coup, je l’ai désinstallée dans la foulée. Je pense que ça va mourir parce que plus personne n’en parle ».
2- Une appli qui te transforme en « poisson rouge »
Sur TikTok, les témoignages de cours dérangés volontairement « pour créer des situations gênantes », de sommeils perturbés et d’intrusion permanente commencent à se multiplier… Pour Nadhir, 15 ans, également élève de seconde au lycée Voilin, « On ne peut pas arrêter Ten Ten, et c’est trop gênant quand on reçoit des messages bizarres tout le temps. Pour l’attention, c’est pire que d’être un poisson rouge, et ça dérange notre vie quotidienne tout le temps. Donc les gens l’utilisent quelque temps et on la désinstalle car c’est trop nuisible. Ça a fait son temps déjà ».
Anne-claire de Pracomtal est coach spécialisée dans l’accompagnement des jeunes, et co-fondatrice de IAMSTRONG, première plateforme française dédiée à la santé mentale et au bien-être des jeunes : « Ce genre d’appli rend la concentration des enfants sur ce qu’ils ont à faire impossible ! On a déjà du mal à se focaliser à cause des réseaux sociaux en général, des notifications et de whatsapp. Pour se concentrer sur une tâche, il faut savoir mettre son téléphone à distance ».
L’impact de ces applis omniprésentes dans la vie de tous les jours sur les apprentissages est réel, et nuit à l’acquisition de compétences. Il est très difficile, même en temps qu’adulte, de s’auto-réguler. Il faut devenir un moine Shaolin pour ne pas se laisser distraire, et c’est encore plus dur pour les enfants.
3- Ten Ten, une application interdite à l’école
Ten Ten n’est peut-être pas interdit mais l’usage du portable en classe dans le primaire et secondaire, oui, et ce, depuis 2018. Ainsi, au moins pendant les cours, Ten Ten ne devrait théoriquement pas nuire aux élèves en situation d’apprentissage.
L’appli talkie walkie a tout de même perturbé les dix premières minutes d’un cours d’anglais de Sarah, professeure de lycée en région PACA. « En fin d’année, les cours sont relativement plus détendus, et je pense que les élèves en ont profité. Je les ai cependant réprimandés et leur ai précisé que si j’entendais à nouveau une notification pendant l’heure, ils seraient immédiatement sanctionnés. Il n’y a eu aucune autre notification ».
Sarah a une politique stricte anti-téléphone en classe. « Les élèves n’envoyaient pas de messages vocaux, mais en recevaient, ce qui perturbait le cours. Beaucoup diront que c’est la faute de l’application et qu’ils ne peuvent rien y faire, mais étant une jeune professeure, je sais très bien que ce n’est pas le cas. Il y a une option sur l’app pour activer le mode silencieux, et la solution la plus simple serait d’éteindre leur téléphone ». Cela n’a donc rien changé à la vie en classe pour Sarah, car elle gère bien ses élèves. Elle a décidé de faire de cet incident un petit TikTok rigolo, pour marquer le coup.
@toms_drawings, professeur de maths populaire sur l’appli chinoise, confirme la même tendance en cours auprès de Mafamillezen: « Je n’ai aucun problème avec cette application, les téléphones sont éteints dans le sac ».
4- Avant Ten Ten… Zello
Avant Ten Ten, il y avait Zello Talkie Walkie. Zello existe depuis 2011. D’origine texane, cet ancêtre américain (encore vivant) de l’application permet elle l’envoi de messages écrits, mais offre sinon exactement la même fonction primaire que Ten Ten: transformer son portable en talkie-walkie sans avoir à composer un numéro.
Elle revendique 150 millions d’utilisateurs dans 200 pays, et se veut un outil de communication « aidant à sauver des vies ». Pendant les ouragans Harvey et Irma qui ont dévasté les Caraïbes, la Floride et le Texas en 2017, Zello était utilisée pour porter secours aux personnes en situation d’urgence. Elle est aussi plébiscitée par les travailleurs de secteurs dans lesquels le personnel doit être mobile et collaborer en équipe : taxis, livraison, hôtellerie…
Des situations d’intérêt vital ou professionnel dont Ten Ten ne semble pas se préoccuper… Puisque l’appli française, contrairement à Zello, n’offre même pas la possibilité d’être utilisée par plusieurs personnes à la fois, en groupe. L’usage en duo est la seule option possible.
5- Une appli qui a tout le temps des bugs
La fonction groupe est réclamée à cor et à cri par des centaines d’utilisateurs de l’appli. Ce à quoi les développeurs de Ten Ten répondent: « On travaille sur les groupes, c’est pour bientôt, ça va être fou ! ».
Peut-être. Mais en attendant « les serveurs ne sont pas du tout stables et il y a énormément de soucis de connexion à signaler », commente Adrien sur Google Play. Certes, Ten Ten est gratuit, mais son succès soudain provoque de nombreux problèmes techniques, de bugs. « Ça supprime des amis ! » prévient Matho_o. « On ne peut pas l’utiliser sans connexion comme c’est dit dans la description » regrette Rubyworld.
Enfin, «Ten Ten reste constamment active donc pompe la batterie et la connexion. Vraiment je n’en vois pas l’intérêt » critique David bdx (WeedRar). Une énième appli éphémère, bancale et pas écologique, non merci.
6- Ten Ten, une appli qui n’a déjà plus la hype
La raison d’être de Ten Ten selon Ten Ten ? Être le moyen de connexion ultime n’importe où, n’importe quand, par message audio “avec tes meilleurs amis”. Pour Melina, en troisième, effectivement, même peu utilisée, l’appli lui permet « d’être plus proche des amis qui sont les plus proches ».
Pour Jaden du lycée Voilin, difficile de nier ce côté “intime pour des raisons pratiques” de Ten Ten: « Moi je l’utilisais avec mon père quand je ne voulais pas l’appeler. Sinon, il me demandait “ t’es où?“ et je lui répondais vite et c’était réglé ». Plus besoin de crier à travers la maison non plus. Il l’a aussi utilisée pour faire quelques blagues avec les copains, mais s’en est vite lassé…La preuve, il en parle au passé.
« Il y a plein d’applis comme ça qui ont flambé et dont on a beaucoup discuté, ça va retomber comme un soufflet ». Tel est le pronostic d’Anne-Claire de Pracomtal, coach à IAMSTRONG : peu de chance que Ten Ten s’impose dans la durée, l’effet de mode ne sera que temporaire. En tout cas, elle l’espère.
7- Le gouvernement met en garde contre Ten Ten
« Prenez le temps d’échanger et d’informer vos enfants sur les risques ». Le 31 mai, C’est en ces termes que Camille Caize, porte-parole du ministère de l’Intérieur, conseillait aux parents de sensibiliser leurs enfants au cyberharcèlement, à la perturbation du sommeil et du travail en classe, et à la divulgation des données et de l’intimité auxquels expose Ten Ten.
Risques que Jule Comar, le PDG de Ten Ten, estime sous contrôle : la collecte des données ne s’étend pas au-delà du périmètre d’une appli classique, pas de partage de ces données et encore moins de celles de localisation, pas de suggestion d’amis, pas d’autres moyens que le partage d’un code PIN pour ajouter des amis, et aucun moyen de dialoguer avec un ami dont on n’aurait pas accepté l’invitation… Sur Apple et Google Play, l’appli est même classée comme pouvant être accessible dès 4 ans (!), en français et en anglais.
Depuis, le Président de la République Emmanuel Macron a poussé le curseur un cran plus loin lors de la conférence de presse du 12 juin de lancement des législatives, en faisant des réseaux sociaux, l’origine de tous les maux de nos adolescents : « harcèlement, violence, décrochage scolaire… Le gouvernement aura à prendre des décisions claires pour protéger nos enfants, d’abord en ne permettant pas l’usage des téléphones avant 11 ans, et surtout l’accès aux réseaux sociaux et à leur usage avant l’âge de 15 ans », considérant cet âge comme celui d’une majorité numérique protectrice. Les jours de Ten Ten sont donc peut-être déjà comptés…
8- Attention danger !
« Le son est archi-fort ! Et si on est interrompu pendant une conversation archi sérieuse avec les parents ?! » s’exclame Wissam dit @wissblh – 564 000 abonnés sur TikTok – dans une vidéo. Cet élève de terminale en Seine-et-Marne trouve que cette application est dangereuse car on ne contrôle pas ce que les personnes que l’on a en amis sur l’appli peuvent dire. Il l’a désinstallée parce qu’ « un jour quand j’étais en cours, quelqu’un m’a parlé sur Ten Ten. Heureusement le professeur n’a pas entendu ». Il recommande aux parents des enfants un peu trop friands de Ten Ten de leur dire de se déconnecter avant d’aller en cours, ou même quand ils n’utilisent pas l’application, tout simplement.
« Ten Ten n’est pas flippante, je n’irais pas jusque-là », tempère Katia, 14 ans et élève de quatrième dans les Hauts-de-Seine. « Il y a beaucoup de débats autour de son utilisation en classe. Mais il suffit de le mettre en silencieux pour résoudre le problème. On s’inquiète pour rien ».
Pareil pour Nadhir, du lycée Voilin : « Si tu n’ajoutes pas n’importe qui, si tu ne donnes pas ton code aléatoire à n’importe qui, normalement, ça se passe bien, c’est vraiment que pour les amis ».
9- Une appli du vide, de la connexion permanente, et de la dictature de l’immédiateté
Estelle du Lot-et-Garonne ne l’utilise que quand ses amis ne répondent pas. « Bah ils entendent de toute façon, donc ils sont obligés de répondre. On s’amuse beaucoup à nous embêter avec ma meilleure amie, il ne m’est rien arrivé de particulier avec cette application ».
C’est peut-être aussi un peu ça le problème. On va sur Ten Ten quand on a déjà épuisé tous les autres réseaux sociaux, quand on s’ennuie ferme, alors que l’ennui a aussi des vertus telles que le développement de la créativité, le rechargement des neurones, ou le repos forcé. « Sinon, on l’utilise surtout quand la personne qu’on veut contacter ne répond pas sur d’autres réseaux sociaux », explique Olivier, élève de première de 17 ans. Grâce à Ten Ten, fini le ghosting ! Mais fini aussi le droit à ne pas être dérangé, à se recentrer sur soi, le droit à la déconnexion.
10- Plus de peur que de mal…
Ainsi, la plupart des jeunes avec qui MAFAMILLEZEN s’est entretenu utilisent Ten Ten pour s’amuser avec leurs amis. Ils ne sont pas vraiment perturbés par l’appli car ils se mettent en mode “ne pas déranger” pour éviter les désagréments.
La peur qu’ils peuvent expérimenter, c’est celle qu’ils ressentent quand « un ami s’amuse à faire un petit bruit pour nous faire sursauter ! », témoigne Olivier. Mais attention, si on reçoit un message via le haut-parleur de son portable pendant un examen, on risque de se faire suspendre ! Dommage quand on n’est pas nous-même le fautif, mais “notre pote” à l’autre bout du fil.
Sandra Tricot, responsable de la communication à e-enfance, association de protection des enfants et ados des dangers d’Internet qui gère le numéro d’appel 3018 dédié aux jeunes victimes et témoins de harcèlement numérique tient à nous rassurer : « Pour l’instant, nous n’avons recensé aucun signalement au sujet de Ten Ten. Mais on reste attentifs ».
Vous avez aimé cet article ou bien vous voulez réagir ?