Les ados rêvent en mode nippon depuis plus de 35 ans et l’avènement du Club Dorothée. Ils continuent de le faire aujourd’hui mais alors, qu’est-ce qui a changé ? Internet, les réseaux sociaux, la mondialisation…ont rendu plus proche de nous le pays des traditions et de la modernité. Si lointain et mystérieux, et pourtant étrangement familier, pourquoi le Japon continue-t-il de faire rêver nos enfants ?
Ce n’est plus si extraordinaire d’avoir des connaissances sur le Japon, c’est devenu presque banal. Certains ont la chance de s’y rendre en vacances en famille, ou dans le cadre d’un programme d’échange pour lycéens. Grâce à leur consommation importante de produits culturels made in Japan, leur grande accessibilité, les ados ont l’impression de connaître le pays du soleil levant, d’en être des experts ! De fans à connaisseurs, la route est longue et parfois semée d’illusions et d’embûches, mais certains s’accrochent à leurs passions, et se retrouvent, quelques années plus tard, en terre nippone… pendant que les autres continuent d’en rêver et d’étudier.
Les jeunes toujours aussi fans du Japon
« Il est difficile d’évaluer l’évolution de la popularité du Japon en France. L’explosion des ventes de mangas ces dernières années – 40 millions d’exemplaires vendus en 2023, soit une bande dessinée sur deux – en sont pourtant un bon indicateur. La multiplication des événements autour de la culture japonaise en France, sur le modèle de Japan Expo, en est un autre » évalue Julien Bouvard, maître de conférences en études japonaises à l’Université de Lyon. Chaque année au mois de juillet, plus de 200 000 personnes s’y rendent.
Enfants comme ados sont en quête de modèles à qui ils vont pouvoir s’identifier, pour les aider à grandir. C’est ce que leur offrent ces bandes dessinées, « des histoires dans lesquelles les héros et héroïnes doivent se battre pour retrouver leurs copains, et des valeurs telles que le dépassement de soi, le goût de l’effort et l’intérêt général. Les valeurs du manga sont hyper positives ». Ce sont les mots de Thomas Sirdey, vice-président exécutif du festival Japan Expo, sur France Inter, pour rassurer les parents. Les mangas abordent tous les sujets de société, autre raison pour laquelle les adolescents ont l’impression de s’approprier des morceaux de la culture japonaise à travers leurs lectures.
Une passion pour le Japon qui se transmet de parents à enfants
Japan Expo est visité par « un public jeune, entre 15 et 25 ans, mais aussi beaucoup plus familial qu’avant » constate Thomas Sirdey. Ainsi, si vos enfants aiment le Japon, c’est peut-être à cause de vous, d’un grand frère ou d’un autre membre de la famille.
Priscilla Tenedor est une spécialiste du Japon, et la maman d’Olivia, 5 ans et de Paolo, 7 ans. « Mon fils a déjà vu tous les films d’Hayao Miyazaki (le créateur des films animés des studios Ghibli tels que le Voyage de Chihiro) depuis ses 4-5 ans, et lui comme ma fille ne prennent que des mangas chaque semaine à la médiathèque. Mon mari est très manga, et je suis japonisante, cela a dû jouer ! ». Priscilla en est ravie : les films Ghibli sont plus poétiques et porteurs de valeurs, absentes selon elle, des films Disney qui infantilisent. « Je n’ai jamais poussé mes enfants ni les ados autour de moi ( Priscilla est professeure occasionnelle de japonais ) vers cette culture, mais aujourd’hui, connaître un peu plus que la norme le Japon, c’est banal. Les jeunes ne se posent presque même plus la question de si c’est japonais ou pas, c’est rentré dans les habitudes ».
Quand les fans se veulent experts
Mais les livres, les films, les événements, ce n’est pas suffisant. Les aficionados souhaitent en savoir plus. Ils se tournent alors vers les réseaux et les influenceurs Japon. Ils sont de plus en plus nombreux, et produisent des contenus de qualité très inégale. Certains s’appliquent à faire découvrir la face cachée du Japon, comme Stella, Cloudy au Japon sur Tiktok. À 25 ans, elle est professeur de français et de japonais à Osaka. Ses 35 000 abonnés la suivent parce qu’elle partage des informations qui s’éloignent un peu de ce qu’on attend du Japon. « Parmi mes followers, certains connaissent très bien le Japon ! Ils me posent des questions très poussées. La plupart du temps, j’essaie de partager des infos culturelles dont on n’entend pas trop parler en France ». Ainsi « l’enfer sur terre » selon elle est d’avoir un deuxième ou troisième prénom au Japon : cela ne rentre jamais dans les cases. Des sujets ultra spécifiques qui donnent à ceux qui la suivent le sentiment que le Japon n’a plus de secret pour eux.
Selon Amandine, la moitié féminine et française du duo de Youtubers franco-japonais Bonsoir TV, « les Français s’intéressent assez bien au Japon et beaucoup connaissent ce pays hors clichés ».
Des connaisseurs qui n’ont jamais mis les pieds au pays du soleil levant
On a même affaire à des spécialistes du Japon…qui n’y sont jamais allés. Comme Priscilla ! Cette spécialiste export a voulu s’y rendre à trois reprises, mais a dû y renoncer à la dernière minute à chaque fois. « Au lycée, j’apprenais le japonais. J’étais un peu une no life, j’avais seulement deux copines. Je passais ma vie à écrire des lignes et des lignes de kanjis (les idéogrammes japonais), à écouter de la J-pop, même mes parents ne me comprenaient pas. Mais j’étais motivée donc j’ai continué à l’université ». Et elle a fini majeure de sa promo ! De quoi soulager les parents. Et la preuve que l’on peut maîtriser véritablement la culture de ce pays et sa langue sans y être, et sans avoir à en rougir.
En France, on apprend avec des professeurs natifs qui sensibilisent à la bonne prononciation. Et l’accès à la culture japonaise se démocratise jusqu’en campagne. « Avant, ça ne se passait que dans les grandes métropoles, je devais aller à Nantes. Mais dernièrement, un événement Japon a eu lieu à Challans, une petite ville de Vendée pas loin de chez moi. Peut-être que cette année aussi, je vais remonter un projet d’initiation à la calligraphie. J’ai déjà organisé des ateliers pour des ados handicapés ».
Une fascination pour les us et coutumes japonais
Le maître de conférence Julien Bouvard est dubitatif : « les champs d’expertise des jeunes fans de Japon, c’est en général des banalités du quotidien nippon : l’utilisation des washlet, le melon pan qu’on achète au konbini, la supérette japonaise, et d’un autre côté des généralités sur le pays : le calme, l’ordre, l’ancrage dans la tradition ».
C’est définitivement du point de vue de la sociologie qu’Alice, 14 ans, collégienne à Meaux, s’y intéresse. « Moi experte du Japon ? Je n’irais pas jusque-là mais j’en connais un rayon sur les habitudes et les mœurs. Par exemple, le schéma de la famille traditionnelle dans laquelle la femme au foyer tient les cordons de la bourse et verse de l’argent de poche à son mari qui va travailler. Je m’intéresse aux faits de société. Les vidéos du Youtubeur Louis-san sont les meilleures pour ça ». Le rêve d’Alice ? Voir les paysages, les traditions, la campagne, et se baigner dans les onsens, les sources thermales. L’archipel en compterait plus de 3000.
Apprendre à parler japonais c’est facile !
La langue est réputée difficile, mais si on l’apprend dans le but d’échanger avec des amis et non l’empereur du Japon, c’est facile ! C’est ce que pense Hanae Tsuji, 14 ans et collégienne à Caen. Son grand-père paternel était Japonais, mais de cet héritage, il lui reste surtout son nom et son prénom. Hanae signifie branche fleurie. Son papa ne le parle pas non plus, mais elle espère devenir bilingue, pour la beauté de la langue, et tant mieux si plus tard elle peut en faire son métier. « Je n’apprends pas cette langue pour forcément renouer avec mes racines. C’est vraiment par curiosité ». La curiosité, c’est la qualité la plus précieuse pour apprendre cette langue si différente du français. « Ça et ne pas vouloir aller trop vite, être patient, surtout quand on débute ».
Hanae est une des élèves de Marion, spécialiste des arts traditionnels et professeur de Japonais dans la même ville. « Mes élèves ados ont de 13 à 18 ans. C’est surprenant comme ils progressent avec facilité, grâce aux réseaux, à Netflix et Internet, même si je leur dis de faire attention à ne pas regarder n’importe quoi. Mon conseil ? De l’étudier comme un hobby : ça crée une satisfaction sans pression et ils progressent beaucoup plus vite que s’ils étaient à l’école ».
Du rêve à la réalité
Pour voyager au Japon, le frein économique reste important. Même si le coût du billet d’avion est redescendu et que le yen est bas, à part la nourriture, visiter ou vivre là-bas reste cher. Certains rêvent d’y habiter, de tout connaître, de devenir influenceur. C’est la prouesse qu’a accomplie Amandine, 25 ans, de Bonsoir TV, chaîne YouTube de 570 000 abonnés, pour les calés en Japon.
Elle l’anime avec son mari Gentoku, japonais de 26 ans, depuis la préfecture de Yamagata, une des régions la moins visitée du pays : « Nous sommes ambassadeurs touristique de notre ville, Sakata, ville du bord de la mer du Japon. Nous avons actuellement un « Projet Amitié France-Japon », dans lequel nous invitons des Français à venir au Japon et découvrir le pays avec nous. Notre but est de leur faire réaliser leurs rêves sur place, et de casser un peu cette image de Japon qu’ils idéalisent en leur montrant le « vrai » Japon local, et pas fantasmé ». Avis aux intéressés !
Une image idéalisée qui met la pression aux Japonais ! Gentoku ressent comme un poids sur ses épaules le fait que beaucoup de Français pensent que les Japonais sont presque parfaits. « Comme dans chaque pays, il y a un juste milieu. Les Japonais ne sont pas tous gentils et serviables, le Japon n’est pas propre partout », précise Gentoku. « Entendre et imaginer des choses c’est bien, mais les vivre et les ressentir c’est complètement autre chose » complète Amandine. Même constat pour le mari de Marion, Kotaro, cuisinier japonais : « Ça m’énerve beaucoup d’entendre des choses exagérées, ou même fausses, de voir exposée de la calligraphie comme japonaise alors qu’elle est chinoise ». Sa femme Marion tempère : « Heureusement, les jeunes comprennent vite les nuances et sont beaucoup plus ouverts aux nouvelles idées que les générations d’avant. Et puis on peut leur pardonner, ils ont besoin de rêver ! ».
Passion Japon, après l’âge c’est plus l’âge
Retour en compagnie d’Alice, à Meaux. Elle nous peint elle aussi un tableau plus nuancé : « Nous, les collégiens aimant le Japon, on n’est pas vu comme des gens cools. C’est encore la mode en sixième, mais après c’est vu comme enfantin, comme Hello Kitty ou la trend de la chanson Nya! Ichi Ni San Nyaa Arigato ! de Tik Tok d’il y a quelques années. Maintenant tout le monde trouve ça ridicule et au collège, les personnes qui aiment les mangas ou s’habillent un peu comme dans les animés, on les appelle les bakas ». Baka signifiant bête en japonais. Les temps sont durs ! Alice trouve que c’est injustifié, cette haine envers une culture « qu’ils ne connaissent même pas ». Pour vivre sa passion du Japon au collège, dorénavant, il faut se cacher.
Cela n’étonne pas Julien Bouvard, notre maître de conférence lyonnais. « Sur les réseaux, c’est pareil. On assiste à une polarisation du débat, à coup d’arguments peu scientifiques. Les haters vont ajouter des commentaires malveillants sous des messages admiratifs du pays, en rappelant maladroitement que le Japon est un enfer sur Terre, où l’on se tue au travail, où l’on se suicide beaucoup. Des clichés négatifs qui répondent aux clichés positifs des autres ».
Enfin, pour certains, le Japon n’aura été qu’un rite de passage d’un âge à un autre, à la manière d’une passion pour un chanteur ou pour un sport.
Ceux qui veulent aller partir étudier ou travailler au Japon
Stella, la professeure d’Osaka, a découvert le Japon en terminale. « Nous avions la possibilité d’effectuer un échange dans un lycée nippon dans le cadre du programme entre lycées enseignant le japonais en France et lycées enseignant le français au Japon du nom de Colibri. Je suis tombée amoureuse du pays. Je ne me destinais pas du tout à une carrière ou à une vie au Japon, mais cette expérience a été un déclic. C’est toujours un rêve pour moi, j’y suis très heureuse mais j’ai aussi beaucoup de chance car je ne travaille pas dans une entreprise japonaise. Donc je n’ai pas vraiment à subir les côtés les plus difficiles de la société ». Avec Colibri, on peut partir de trois semaines à un an en famille d’accueil. Stella s’y est fait beaucoup d’amis, y a rencontré son mari, et a acquis une aisance dans la langue et une compréhension de la culture précieuses.
Le JPLT, l’équivalent du TOEIC anglais mais en japonais, est aussi une bonne entrée en matière. Il est accessible à partir du moment où l’on a étudié pendant quelques mois la langue, et il n’y a pas d’âge minimum pour le passer. On commence par le niveau 5, le plus bas, et c’est un bon moyen de tester son niveau et de se situer.
Pour les plus sérieux, on peut s’orienter vers une formation universitaire complète, un passage obligé pour faire ses armes. Dans ce cadre, 1228 étudiants français partent en année d’échange au Japon chaque année, selon les derniers chiffres de Campus France. Cela fait du Japon la treizième destination la plus prisée des étudiants français qui partent à l’étranger.
Une dernière recommandation de Marion, qu’elle prodigue à ses élèves caennais qui rêvent de partir au Japon en visa vacances-travail ? Elle conseille plutôt d’y aller en tant qu’étudiant que touriste. Car en général, une fois sur place, la vie étant chère, il va falloir faire des petits boulots et on ne pourra pas voyager autant qu’on veut, en raison du coût. « Enfin, le SMIC japonais, c’est 1002 yens de l’heure, soit à peine plus de 6 euros. Il faut faire attention à cela ».
Enfin, on ne connaît jamais assez un pays. Plus on progresse en japonais et en connaissance de ce pays, plus on en saisit la complexité, et moins on le comprend. Cela permet d’entretenir le mystère, d’aiguiser sa curiosité et sa volonté de progresser.
Pour aller plus loin :
Japan Expo 2024
Du 11 au 14 juillet au Parc des Expositions de Paris-Nord VillepinteCahier d’activités Japon
80 pages de jeux pour devenir incollable sur le pays du Soleil levant !
Langue, coutumes, Histoire, cuisine, cinéma, littérature… Amateur ou fan du Japon, ce cahier vous surprendra : quiz, charades, grilles de mots, sudoku… une centaine de jeux pour voyager au coeur de cet archipel aux mille facettes !Chez Gallimard Voyage, 2 mai 2024, 10,95 € – Commander sur Amazon
Naruto, le cahier de vacances d’initiation au japonais
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