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Pourquoi les ados ne sont plus pressés de passer le permis de conduire ?

Par Brigitte Valotto - Mise à jour le

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Les jeunes seraient de moins en moins nombreux à passer leur permis.Trop cher, trop compliqué, pas assez écolo ? L’instauration du permis à 17 ans va-t-elle changer la donne ? Analyse et témoignages…

Léo, étudiant de 20 ans, habite encore chez ses parents, dans le Val d’Oise. Il vient d’engranger quelques économies grâce à son job d’été de deux mois… mais n’a aucune intention de les investir dans des cours de conduite : « Je vais pas tout claquer dans un permis de conduire, à quoi il me servirait, en fait ? Le RER D passe en bas de chez moi, aller en voiture sur Paris c’est hyper galère. Et quand je pars en vacances, je choisis des endroits accessibles en train. Cet été, on est allés à Annecy avec ma copine et une fois arrivés à la gare, on s’est déplacés partout très facilement, à pied et en vélo ! »

Le permis de conduire ? Peut-être, plus tard !

Léo n’est pas le seul : même si le permis de conduire recense chaque année plus de 1,2 million de candidats (représentant ainsi le premier examen de France, devant le bac), il se passe aussi de plus en plus tard. En 2022, seuls 30% des lauréats du permis de conduire avaient 18 ans. Et ils ne sont plus que 80 % à l’avoir avant 25 ans, contre 90 % en 1980 !

Pas étonnant que leurs parents aient du mal à comprendre : « A son âge, j’avais  économisé pour m’acheter ma première voiture, une 206 d’occasion… et  j’étais parti pour un road trip de 2 000 bornes en Europe », se souvient le père de Léo. « La voiture, ça voulait dire l’indépendance, et même l’aventure ! » Même agacement chez les parents de Fanny, 19 ans, qui placent de l’argent à son nom, depuis sa naissance, sur un livret A. « On pensait que ça lui servirait, le moment venu, à financer permis et voiture. On trouve ça important pour l’autonomie, pour trouver un boulot, aussi. Mais non. Elle n’en veut pas ! »

L’intéressée temporise : « On verra plus tard, peut-être quand je bosserai. Le seul moment où ça me manque, pour l’instant, c’est en soirée : si on doit rentrer trop tard pour les transports, on essaie d’inviter toujours au moins un pote qui ait le permis et la voiture ! » Ce n’est pas pour autant qu’elle fantasme sur les belles carrosseries… comme autrefois les filles que le papa de Léo raccompagnait : « Avec ma vieille 206, je faisais pas rêver, mais à l’époque, une Golf GTI flambant neuve avec l’auto-radio CD… c’était l’arme fatale », plaisante-t-il.

La voiture, un fantasme devenu… imposture ?

Apparemment, les jeunes générations sont beaucoup moins sensibles à la séduction automobile : « Moi, le gars qui s’affiche avec une grosse cylindrée, je le calcule même pas », assure Fanny. « Non seulement je déteste le bling bling, mais en plus, je suis 100 % écolo ! Alors pour me plaire, il vaut mieux me ramener en trottinette plutôt qu’en Porsche ! »

Ce qui ne surprend pas le sociologue David Le Breton, qui a mené l’enquête sur « Les jeunes au volant »,  avec le soutien de la Fondation Vinci Autoroute (résultats et analyse dans un récent ouvrage publié sous le même titre, aux éditions Erès) : « L’immense crise climatique et énergétique, l’engagement écologique d’une partie des jeunes, le succès des nouvelles mobilités, du vélo électrique aux trottinettes en passant par le covoiturage… Tout cela les rend certainement plus réticents à passer leur permis », résume-t-il.  « Parmi les 150 jeunes que nous avons interrogés, beaucoup trouvaient que la voiture est une imposture, ils lui reprochent de coûter cher en essence, en assurance, en stationnement… et bien sûr, de polluer ! »

Jeunes conducteurs : citadins ou ruraux, une France coupée en deux

Oui, mais les trottinettes et les transports en commun au pied de chez soi, ce n’est pas donné à tout le monde. « Évidemment, les petits bobos parisiens, ils ont pas besoin de bagnole… mais nous, si on veut pas dépendre de nos parents, on fait comment ? » s’énerve Yanis, 22 ans, qui habite dans un petit village de l’Hérault. Selon une étude récente, 45 % des 18-24 ans ont leur permis en région parisienne, contre 77 % en zones rurales. D’ailleurs, dans les amphis parisiens, une vanne court : « T’as le permis ? T’as grandi à Rouen, toi… ». Y aurait-il une pointe de snobisme citadin dans la « non-auto » attitude ?  En tout cas, elle clive jeunes urbains et provinciaux : « C’est très marqué dans les réponses à notre enquête », remarque David Le Breton. « Ceux des grandes villes jugent quasi tous la voiture non essentielle, et le permis superflu. Alors que dans l’échantillon provincial, les jeunes mettent presque tous en avant, en faveur de la voiture, la liberté de mouvement, l’autonomisation par rapport aux parents et même aux copains ».

Les professionnels rejoignent cette analyse : « Même si le permis se passe de plus en plus tard dans les zones urbaines, il demeure indispensable pour les  jeunes qui vivent dans des zones moins desservies et densément peuplées », remarque ainsi Edouard Rudolf, fondateur d’En Voiture Simone, qui espère que l’ouverture d’une nouvelle classe d’âge, dès 17 ans, depuis le 1er janvier, renversera partout cette tendance à passer le permis plus tard. «Chez En Voiture Simone, nous avons constaté une augmentation de 25% des candidats âgés de moins de 18 ans, dès les annonces d’Elisabeth Borne au mois de juin, et début janvier nous avions déjà plusieurs dizaines d’examens programmés. Preuve que le permis séduit encore les plus jeunes. » Oui mais… des freins importants subsistent : les délais trop longs, le coût trop élevé, sont fréquemment mis en avant.

Un examen du permis de conduire trop cher, et qui bouchonne…

Selon une toute récente étude menée pour Le Permis Libre auprès de 1700 auto-écoles en France, le prix du permis – en moyenne, 1234 euros – a augmenté de 7,2 % en 7 ans. Et les inégalités se creusent entre les départements, avec des écarts de prix très importants – Belfort étant le moins cher, avec un coût de 931 € en 2023, alors qu’il faut débourser 1 444 € en moyenne dans la Sarthe. Dans les villages français, les jeunes vivent d’autant plus mal la condescendance de leurs pairs citadins que le permis reste souvent un sésame à l’emploi, indispensable mais inaccessible en terme de coût : « Si je ne l’ai pas encore , ce n’est pas une question de choix.. mais d’argent », précise ainsi Yannis, qui s’est inscrit à une auto-école sociale dans l’espoir d’ajouter enfin le permis B à son CV.

Et le prix n’est pas le seul obstacle : la difficulté de cet examen décourage un grand nombre de prétendants (16 % renoncent carrément au permis pour cette raison), les délais de passage à aussi  « Nous regrettons que le sujet des places d’examen n’ait pas été traité avant d’ouvrir une nouvelle classe d’âge au permis. Les 17 ans c’est environ 800 000 jeunes qui vont s’ajouter aux candidats, et encore allonger les délais », résume Romain Durand, directeur général du Permis Libre.  « Le covid a créé un bouchon monumental, entre 300 et 400 000 candidats attendaient de le passer après le premier confinement, alors qu’il y a toujours eu un manque chronique d’inspecteurs et un système d’examen verrouillé par les auto-écoles traditionnelles, avec impossibilité d’obtenir des dates pour se présenter en candidat libre. Cela a beaucoup participé à la perte de vitesse du permis », précise Romain Durand, directeur de l’auto-école en ligne Lepermislibre.fr.

Un début d’accélération

Les auto-écoles en ligne ont donc fait front commun pour essayer de démocratiser l’accès à l’examen et en raccourcir les délais : En Voiture Simone, Le Permis Libre et Ornikar se sont groupées dans l’association FENAA et ont saisi le Conseil d’Etat. Résultat : le gouvernement a lancé l’an dernier une nouvelle plate-forme nationale, RDV Permis, qui a commencé à faire bouger les choses. « La généralisation de RDVPermis sur l’ensemble du territoire a fait vraiment chuter les délais », se félicite Edouard Rudolf. « Aujourd’hui, chez En Voiture Simone, l’examen du permis a lieu en moyenne 1 mois après la demande d’inscription. Et nos élèves connaissent leur créneau 7 jours seulement après avoir fait la demande. L’apprentissage gagne en fluidité et les candidats en sérénité. »  Cela devrait ramener beaucoup de jeunes vers le permis. « Il ne faut pas oublier que c’est d’abord un diplôme…Il ne faut pas le laisser devenir un produit de luxe », s’indigne Edouard Rudolf. « Devoir investir près de 2000 euros et attendre six à huit mois, ça amène près d’un million de personnes à conduire sans permis, en France ! »

La voiture ? Oui… mais plus la même !

Alternatives légales : scooter, vélo électrique ou voiturettes électriques qu’on peut conduire dès 14 ans avec un seul permis deux roues, et qu’on peut même se contenter de louer au lieu d’acheter… Le succès de ces modes de transport alternatifs à la voiture démontre que c’est tout le rapport à l’automobile qui a changé !

« L’objet automobile, tel qu’on en a rêvé pendant des années, a une image écornée aujourd’hui », reconnaît Laurent Barria, directeur marketing et communication de la marque Citroën. « Les jeunes ont une relation différente avec la voiture comme ils ont une relation différente avec l’industrie de la viande ! Tous les constructeurs doivent le prendre en compte pour inventer le véhicule de demain. Et même si nous allons tous vers l’électrique, il faudra que cette électrification soit accessible à tous ! »

Citroën a fait un coup d’éclat en lançant l’AMI : 40 % des utilisateurs de cette voiturette électrique ont moins de 18 ans. Elle a tout pour leur plaire : 70 km d’autonomie, assez petite pour se garer partout, achetable en ligne aussi bien qu’à la Fnac ou chez Darty, dès 20 euros par mois grâce à des formules de location/vente et même de Pay as You Drive (location à l’heure). De quoi repousser loin dans le passé l’image poussive des voiturettes sans permis, qui se traînaient sur des chemins de campagne, conduites par des mamies et papis. « Au contraire, aujourd’hui, elles font partie de ces possibilités de « mobilité douce » qui repoussent encore la date d’inscription au permis classique et l’acquisition de la première automobile », souligne Laurent Barria. « Pouvoir accéder à une voiture quand ils en ont besoin, sans engagement, à prix accessible, c’est plébiscité chez les jeunes. Ce qui prouve qu’ils restent fascinés par la mobilité, la liberté qu’apporte la voiture individuelle : ce n’est pas l’auto qui leur importe moins, c’est sa propriété. »

Une auto… quand je veux

Tendance confirmée par l’un des leaders de la location de voitures entre particuliers, OuiCar : les 18-25 ans pèsent près de 15% du volume des demandes. « Même si avoir son auto est moins symbolique que pour leurs aînés, même s’ils passent leur permis plus tard, les jeunes se ruent vers les petites voitures électriques, écolos, maniables, pas chères, et plébiscitent les services du type auto-partage et habitacle connecté » remarque également Edouard Rudolf, le fondateur d’En Voiture Simone. Car l’auto reste un prolongement du « chez soi ».

Donc, les revirements ne sont pas rares en sa faveur : « Quand je suis venu étudier à Paris, je disais que je n’en aurais jamais… mais depuis que je bosse, je ne m’en passe plus », admet Etienne, 26 ans. « J’avoue, je m’y sens bien, j’ai ma musique, tout ça… le temps de trajet c’est comme une transition, alors que si je prends les transports, je me sens déjà dans le rythme du boulot ! »

Le permis de conduire, toujours un rite de passage vers l’âge adulte

La voiture individuelle continue ainsi à remplir une fonction symbolique, comme le souligne David Le Breton : « Même si les jeunes mixent davantage les usages et se montrent critiques envers la voiture, elle reste au cœur de la sociabilité adolescente . Elle abrite les premiers amours, elle contribue aux déplacements vers les lieux de fête ou les appartements des amis . Et elle offre bien des traits d’un objet transitionnel propre à cet âge : elle rassure, elle donne un contenant, elle permet d’aller d’un lieu à l’autre sans dilemme. » Une enquête Ipsos de 2018 le confirme : 58 % des jeunes interrogés continuent à considérer qu’avoir une voiture est essentiel et 3% seulement la voient comme « inutile ».

Alors, les jeunes reçus à ce fameux permis de conduire, qui reste le premier examen de France et le plus difficile, sont toujours aussi heureux que leurs parents, hier : « Ils font tous la tournée des copains, de la famille, pour proclamer « je l’ai, je l’ai, je l’ai » ! Ils se sentent adultes » a constaté David Le Breton durant son enquête. Et le sociologue résume d’une phrase qui dit tout : « Le permis reste un indice tangible de maturité… et un des derniers rites de passage vers l’âge d’homme ou de femme ! »

* Bilan annuel publié par le ministère de l’Intérieur sur Interieur.gouv.fr.
** Sondage réalisé du 7 au 14 juin 2017 par l’institut OpinionWay pour Point S à partir d’un échantillon représentatif de la population française âgée de 18 à 24 ans.

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