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Parler politique en famille : au secours, on n’est pas d’accord !

Par Brigitte Valotto - Mise à jour le

parler politique en famille

Parler politique avec ses enfants, quand ils atteignent l’âge de voter… ça peut virer au pugilat ! A l’approche de l’élection présidentielle, comment apaiser les débats, et échanger sans s’écharper ? Et retrouvez une sélection de livres, jeux et autres podcasts pour expliquer et décrypter la politique et les élections pour les plus jeunes.

« Je ne comprends pas ! Mon fils veut voter Zemmour, alors qu’on l’a élevé dans des idées de gauche », avoue Hélène, 52 ans, chez qui les dîners en famille ont viré à la bataille rangée, avec même parfois… jets de projectiles ! « Mon mari était tellement énervé l’autre jour qu’il a jeté sa fourchette violemment sur la table… elle est allée se planter juste à côté de la main de mon fils, qui l’a derechef accusé d’avoir voulu le tuer. Symboliquement, c’était peut-être un peu vrai, sur le moment ! »

Parler politique avec ses enfants : quand le fossé vire à la tranchée

Une plaisanterie qui en dit long… et même si tout le monde n’a (heureusement) pas de débats aussi passionnés, l’ambiance pré-présidentielle creuse souvent le fossé entre générations… jusqu’à se retrouver dans une vraie guerre de tranchées, chacun campant sur des positions irréconciliables. Rien de très nouveau sous le soleil, comme le souligne Marie-Jeanne Trouchaud, psychothérapeute qui se définit comme « militante de l’humain » et dont le dernier livre, « Apprenez-leur la liberté » (First) explique comment amener les ados vers un « détachement secure » : « Quand j’étais gamine j’entendais déjà autour de la table familiale des gens qui s’écharpaient, et j’ai 75 ans ! Quand on débat avec quiconque, et encore davantage avec des ados et jeunes adultes qui sont très éruptifs, il est très important d’essayer de comprendre et non de convaincre. Il ne s’agit pas de prouver à l’autre qu’on a raison et qu’il a tort : on peut être quelqu’un de conviction sans essayer à tout prix de convaincre ! »

Désaccord ou trahison ?

« Je n’y arrive pas, je perds mon calme, car on est aux antipodes et surtout, j’ai l’impression qu’il trahit toute l’éducation que je lui ai donnée », reconnaît Hélène. C’est là où le bât blesse : bien au-delà des différences partisanes, la différence d’opinions peut être vécue par les parents comme un véritable rejet, une négation de ce qu’on a voulu transmettre. « Cela peut entraîner un sentiment d’incompréhension, voire d’abandon ou de trahison », selon Hélène Romano, docteur en psychopathologie clinique.  Mais c’est pareil du côté de l’adolescent ou du jeune adulte qui se sent méprisé, voire renié. « On met en lumière la question de l’appartenance. Finalement, on se demande :  » est-ce que j’existe vraiment en tant qu’individu au sein de ma famille ? «  Le politique devient un prétexte pour mettre à jour les tensions familiales ».

Parler politique avec ses ados : s’opposer pour exister ?

C’est peut-être aussi une façon, pour les ados, de prendre position « contre » leurs parents, de s’opposer pour mieux se détacher… mais ce n’est pas forcément inéluctable, selon notre spécialiste de la communication non violente et de l’adolescence, Marie-Jeanne Trouchaud : « Je ne suis pas d’accord avec les psys qui estiment que cette phase d’opposition est incontournable. L’ado s’oppose s’il a un mur en face de lui, mais s’il a des parents très ouverts, il ne s’oppose pas… il s’appose ! Quand on essaie de discuter, quand on n’essaie pas de l’obliger, de l’enfermer, que ce soit dans une opinion, dans une manière de faire, dans une exigence, alors il n’a pas de raison de s’opposer. Les ados sont très ouverts quand on leur explique, qu’on les écoute, quand on est pas obtus soi-même, quand on ne sous-entend pas : « il faut que tu penses la même chose que moi ». Certes, il est normal, à l’âge où ils se rendent compte que tout ne sera pas donné par leur famille, où ils commencent à discuter avec d’autres que leurs parents,  à entendre des opinions différentes, à avoir des influences différentes, que leur horizon change et s’élargisse. Mais il ne faut pas qu’ils quittent un sillon pour entrer dans un autre : l’essentiel, c’est d’apprendre à réfléchir par soi-même  ! »

Pas partisans ? Profitez-en !

Autrement dit, ouvrez votre esprit, il ouvrira le sien… d’autant que les jeunes d’aujourd’hui sont beaucoup moins partisans que les générations précédentes : leurs engagements, qu’on dit forts et qu’ils réaffirment souvent dans les enquêtes récentes – une majorité se disant par exemple contre le racisme, le sexisme, ou pour l’écologie – ne s’expriment pas via des opinions politiques très tranchées. Au contraire, ils sont une large majorité (55%) à ne pouvoir indiquer de préférence partisane, et 43 % à ne pas avoir d’idées assez précises pour se positionner sur l’axe gauche-droite, selon une étude d’ampleur inédite que vient de publier l’Institut Montaigne*. « Notre enquête démontre que les jeunes sont moins extrémistes que les générations plus âgées. Ce qui caractérise les 18-24 ans, c’est la désaffiliation politique », précise Olivier Galland, sociologue spécialiste des questions de jeunesse et directeur de recherche émérite au CNRS, qui a mené cette enquête avec Marc Lazar, professeur d’histoire et de sociologie politique à Sciences Po Paris.

Mais c’est peut-être ce qui énerve le plus leurs parents ? « Ma fille ne veut même pas se déplacer pour aller voter… alors qu’à son âge, j’allais manifester contre la loi Devaquet ! C’est quoi, cette génération qui n’a aucune conscience politique, et qui n’est même plus attachée aux valeurs de notre démocratie ? » s’énerve la mère de Laurène, 18 ans et pas encore inscrite sur les listes électorales malgré les exhortations maternelles. Et en effet, selon l’étude de l’Institut Montaigne, 51% des 18-25 ans interrogés estiment « qu’un gouvernement démocratique n’est pas si important que ça » : de quoi faire sauter leurs parents et grands-parents au plafond !

Moins démocrates que nous nos ados? 

« Ils ne sont pas hostiles par principe à la démocratie, ils sont insatisfaits et ils ne comprennent plus les formes d’organisation qu’elle prend aujourd’hui », assure pourtant Marc Lazar.  « Leur présidentielle, ça me saoule grave », explique ainsi Arthur, qui s’est emporté contre les leçons de démocratie de ses parents, lors de la dernière et mémorable discussion familiale. « Eh, boomers… si vous arrêtiez de parler politique ? Vous avez pas encore compris, depuis le temps que vous en parlez, que c’est pas des paroles qui vont changer le monde ? » leur a-t-il lancé. « Je crois pas que la démocratie ait besoin de nous, se justifie-t-il. Je ne me reconnais dans aucun parti, et j’ai plein d’amis dans le même cas ! »

Adieu, donc, le grand classique des disputes politiques générationnelles d’antan, jeunes à gauche, parents à droite : « L’évolution sur quarante ans est très nette : en 1981, 36 % des jeunes se plaçaient à gauche, ils n’étaient plus que 30 % en 1999, et aujourd’hui, 21 % des 18-30 ans, à peine plus que l’ensemble des Français (19%) », résume le sociologue Frédéric Dabi, qui a publié un livre sur cette génération, La Fracture, basé sur une autre grande enquête d’opinion auprès des 18-30 ans, menée en 2021 par l’IFOP. Selon ses constatations, soit les jeunes ne votent pas, ne manifestant aucun attrait pour les candidats issus des traditionnels partis de gouvernement, soit ils votent beaucoup plus souvent que la moyenne des Français pour les candidats qui sortent du sérail, à l’extrême-gauche comme à l’extrême-droite – Jean-Luc Mélenchon ou Marine Le Pen, notamment, font de meilleurs scores chez les jeunes que chez les aînés. Peut-être leur façon d’être révolutionnaires ?

Mais révoltés quand même ! 

« Leur mobilisation pour de grandes causes, l’antiracisme ou la justice, la lutte contre l’homophobie ou contre la violence à l’école et au collège, est intacte – voire s’accroît. Mais cet intérêt reste abstrait et ne débouche pas souvent sur une « conscience politique »  », analyse Philippe Godard, auteur de  La politique, tout un programme (Milan) et contributeur au site grandiravec.nathan.fr.

Dépolitisés, donc, mais assez révoltés pour jeter des pavés, comme leurs aînés : selon l’enquête de l’Institut Montaigne, un jeune sur 5 trouve acceptables et compréhensibles les actes de dégradation de l’espace public (contre une personne sur dix, dans la génération de leurs parents.) « Vous êtes les enfants de mai 68, mais quand des jeunes cassent des vitrines ou font cramer des voitures, vous trouvez ça inadmissible ! Moi, je ne suis pas pour l’action violente, mais je la comprends, ça ne me choque pas. Je crois qu’on a le droit de se révolter, c’est plus efficace que d’aller voter ! » clame ainsi Enzo, étudiant en histoire à Toulouse, qui se prend régulièrement le bec avec ses parents sur cette vision particulière de la politique. « Ils ne veulent pas entendre mon avis, parce qu’ils se braquent complètement », se désole-t-il. Peut-être faudrait-il qu’on apprenne, comme les candidats à l’élection… à mener des débats politiques ?

Et s’ils nous faisaient évoluer?

« La seule régulation à l’énervement c’est de sortir de l’émotion, pour essayer d’étayer une opinion avec des faits, des arguments… Et de savoir laisser son interlocuteur libre de ses convictions », recommande Marie-Jeanne Trouchaud. « Ne pas lui dire qu’il a tort, mais lui demander pourquoi il pense ceci ou cela, essayer de comprendre ses arguments en posant des questions sans tonalité intrusive, sans lever les yeux au ciel… Il ne faut surtout pas qu’il se voit minable dans vos yeux ! Par contre, s’intéresser sincèrement à son point de vue, lui demander de le développer puis donner vos propres arguments, dire pourquoi votre opinion est différente, c’est partager vos visions de la société. Après tout, vos propres opinions politiques viennent souvent d’un déterminisme social, de vos propres parents : qui sait, vos enfants vont peut-être les faire évoluer, avec des arguments auxquels vous n’aviez pas pensé ? C’est très intéressant ! »

Parler politique en famille : élever le débat… pas le ton !

Et pour s’entraîner à ces échanges de vue sans acrimonie, mieux vaut commencer tôt : avant même qu’ils aient l’âge de se passionner dans des débats enflammés, les enfants peuvent s’intéresser à la vie de la cité… En parler, c’est une excellente occasion d’apprendre à réfléchir ! C’est ce que fait Marie-Jeanne Trouchaud, en tant que co-fondatrice de l’association SEVE**, créée il y a cinq ans : « On va dans les écoles et collèges pour entraîner les enfants aux réflexions philosophiques, on essaie de leur apprendre à  argumenter, à questionner une opinion, à ne pas partir sur des préjugés et des dogmatismes… Pour cela, il faut aussi savoir se remettre en question. Ne jamais rentrer dans une discussion avec un jeune avec pour seule idée, celle de le convaincre. Nous-mêmes, sommes nous toujours certains d’avoir raison ? »

Philippe Godard, qui intervient aussi dans des écoles primaires pour parler politique, souligne l’importance d’une bonne compréhension de celle-ci pour former un citoyen éclairé… bien au-delà des querelles politiciennes : « Lorsque nos enfants grandissent, nous allons approfondir et développer avec eux la réflexion qu’ils mènent dès la plus petite enfance sur les lois, de la façon la plus concrète qui soit, en se donnant eux-mêmes les règles de leurs propres jeux collectifs. Nous ferons ainsi de la très bonne politique en famille ! Une politique simple et compréhensible mais qui, mine de rien, touche à l’essentiel et ouvre la voie à toutes les options, de l’obéissance sans condition à la rébellion contre l’injustice ! Encore une fois : de la véritable politique. »

Il faut donc dépasser les avis épidermiques et les querelles de camp, pour échanger, en réalité, nos visions du monde : « Débattre politique avec votre enfant, c’est savoir dans quelle société il a envie de vivre, ce qu’il considère comme une réussite, une vie heureuse », insiste Marie-Jeanne Trouchaud. « C’est cela, l’important. Apprenez la liberté de pensée à vos enfants, et vous élargirez peut-être la vôtre. Il faut savoir élever le débat… plutôt qu’élever le ton ! »

* Une jeunesse plurielle, enquête auprès des 18-24 ans, enquête réalisée en septembre 2021 auprès de 8 000 jeunes Français. Voir sur le site de L’Institut Montaigne.
**https://asso.seve.org/

Des outils ludiques, pour parler politique aux plus jeunes…

On comprend  » Les élections «  dès 7 ans, grâce à cet album illustré, ludique et très pédagogique, constitué de 32 questions réponses pour découvrir tous les mécanismes démocratiques (Nathan, 7,80€)… ou grâce à un roman illustré, léger mais instructif , « A voté » (Actes Sud, 8,50€, parution le 16 mars 2022).

Père Castor réédite quant à lui son livre documentaire « A voté ! On élit qui et pour quoi ?« , pour comprendre la démocratie et décrypter les enjeux électoraux d’aujourd’hui (parution 16 mars 2022, 9,50 €, dès 10 ans).

Et les Editions Privat Jeunesse sortent « La politique, j’ai tout compris« , organisé en 50 questions-réponses pour comprendre les fonctionnements, les diverses constitutions, la politique à travers le monde et des questions plus pratiques comme à quoi servent les partis politiques, les Nations Unies ou encore que signifie Gauche/Droite (parution le 17 mars 2022, 13,90 €, dès 9 ans).

CONCOURS : A gagner 6 exemplaires de « La politique – J’ai tout compris » du 9 au 23 mars 2022 dans l’espace Concours !

On s’en amuse dès 8 ans avec  » Prunille Présidente ! « , un récit plein de drôlerie, écrit à tour de rôle par 14 auteurs jeunesse reconnus, qui donnent une leçon de civisme romanesque tout en faisant une bonne action (un roman acheté = un don pour le Secours Populaire (PKJ, 7,95€).

On s’instruit dès 9 ans sur tous « Les présidents de la République » depuis 1848. Ce livre documentaire illustré, écrit par Vincent Cuvellier raconte de façon vivante cette succession de personnalités, des plus austères ou plus hautes en couleur (Actes Sud, collection « T’étais qui, toi ? », 12,50€, parution le 2 mars 2022).

On joue à remporter l’élection, sur un plateau… dès 8 ans, avec Elekhton, un jeu de société qui permet d’ouvrir les débats (sur le site des petits citoyens, qui propose des outils pédagogiques de médiation et de sensibilisation à la citoyenneté active dès le plus jeune âge)

Et la politique, on en rit, avec le jeu d’apéro le plus vendu en France, Blanc Manger Coco, qui sort une édition spéciale élections avec « Plein les urnes ! » (PVC : 13,50 €), un jeu d’ambiance politiquement incorrect parfait pour faire campagne à la maison avec vos ados (à partir de 16 ans) quel que soit vos opinions politiques ! 

KIDSONO donne la parole aux enfants de 4 à 12 ans, sur les différentes thématiques qui seront abordées durant la campagne, dans un podcast intitulé « Moi président(e) ! ». Son format hebdomadaire (un nouvel épisode tous les mercredis matins) permet aux enfants de s’exprimer sur des sujets variés tels que le climat, l’égalité fille-garçon, le harcèlement scolaire, la culture ou encore la cantoche, durant toute la campagne !

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