Qu’y a-t-il dans une tête d’ado… vous en souvenez-vous ? Pas sûr, et pourtant, on était pas si différents, à leur âge ! La preuve en écrits intimes, recueillis par Irvin Anneix dans un beau livre qui nous aide à mieux les comprendre… Mots d’ados. Une collections de journaux intimes d’adolescents, édité chez Hoëbeke Gallimard.
C’est une plongée inédite dans le monde de l’adolescence : plus de 5 000 écrits collectés pendant dix ans, rassemblés de façon très créative dans un superbe recueil, Mots d’Ados, aux éditions Hoëbeke Gallimard… mais aussi lus et commentés par des jeunes d’aujourd’hui, grâce à un studio itinérant qui se déplace partout en France*. Le vidéaste Irvin Anneix, par ce travail de recherche sans précédent, vise d’abord à aider les adolescents eux-mêmes à mieux se comprendre. “L’idée m’est venue en relisant mon propre journal intime. Il m’a semblé très sombre, alors qu’avec le recul, ce n’étaient pas des années si difficiles”, raconte-t-il. “J’ai voulu montrer à tous ceux qui traversent la même période qu’ils n’étaient pas seuls : j’ai publié mon journal et j’ai fait un appel à contributions pour qu’ils m’envoient leurs écrits : je ne m’attendais pas à un tel afflux de textes ! Ils composent une collection intergénérationnelle, avec des écrits datant des années 60 à aujourd’hui ! Une vraie unité s’en dégage.” En effet, ces mots d’ados disent des maux… qui semblent sauter les générations !
Mots d’ados : “Je me suis auto-proclamée orpheline”
“Quand nous avons une dent contre nos parents, on nous dit souvent qu’il faut être patient avec eux car ils apprennent à devenir parents. Mais devenir parents signifie-t-il que nous devons systématiquement oublier ce que c’était d’être un adolescent ?” s’interroge ainsi Jade, en 2015. “J’ai l’impression que plus je grandis et plus le fossé entre mes parents et moi s’agrandit et se creuse, tout en m’engloutissant à l’intérieur.” Plus brutale, Mélissa écrit : “Papa et Maman, je ne veux pas être comme vous ”; “Les seules ombres sur le tableau de ma vie sont mes parents” assène une autre.
“Nous avons beaucoup de textes sur ce thème, parfois très violents et de toutes les époques”, résume Irvin Anneix. “C’est un sentiment d’incompréhension, de solitude, commun aux ados d’hier et aujourd’hui, de même que cette idée que leur génération va changer le monde : je crois que chaque génération l’a éprouvée ! ” Dans son studio mobile, beaucoup de jeunes ont choisi de lire des textes parfois très vieux… dans lesquels ils se reconnaissaient pourtant très bien ! “Je pense que c’est générationnel en fait, cette espèce de “fuck les parents”, parce que ça représente l’autorité… et à l’adolescence on a tous un problème avec le mot autorité, surtout parentale”, résume ainsi une jeune fille qui vient de lire, face à la caméra, le texte d’une ado d’hier, intitulé “Je me suis autoproclamée orpheline.”*
“Ne pas avoir peur du regard des autres, être soi”
Pourtant, quelque chose a changé, qui rend peut-être encore plus noire à leurs yeux cette période de crise et de conflits : “La différence, c’est qu’ils sont confrontés en permanence à l’approbation des autres, à la vie des autres, à travers les réseaux sociaux. Et les autres ont toujours de plus belles vies, de plus beaux objets, des parents plus cool… ce qui accroit le sentiment de mal-être”, souligne Christine Cannard, psychologue et enseignant chercheur au LPNC (CNRS/Université de Grenoble-Alpes). Dans ses cours, elle utilise à titre d’exemple les vidéos d’Irvin Anneix. “Son travail a le grand mérite de montrer aux ados qu’ils ne sont pas seuls dans leur coin ! Le sentiment d’exclusion a toujours existé, mais aujourd’hui le regard des autres est tellement prégnant et permanent qu’on ferait tout pour ne pas être marginalisé, isolé.”
Ils sont nombreux à en témoigner dans leurs écrits. Ainsi, Anaïs, qui se demande : “Comment peut-on s’empêcher de vivre à cause du regard des gens ?” Tandis que Morgane constate : “C’est compliqué de vivre dans une société où tout le monde vous critique. Pour eux, je suis trop grosse, pas assez bien habillée, folle, trop sérieuse, l’intello de la classe…” Irvin Anneix a vu beaucoup d’ados “craquer” dans le studio itinérant, en lisant des textes sur ce thème, tant ils y sont sensibilisés. “Même quand cela ne les concerne pas directement, tous ceux à qui j’ai parlé ont connu au moins une personne qui a été harcelée,… Ne pas sortir des codes, se sentir harcelé parce que différent, ce sont les plus grandes craintes exprimées aujourd’hui. Les réseaux sociaux, le virtuel, ont transformé le harcèlement : il n’est plus cantonné à l’enceinte scolaire. Cela a donc pris des formes plu graves et beaucoup de textes de jeunes vont jusqu’à évoquer le suicide.” Comment les aider ?
“J’avais besoin d’un père, pas d’un coup de vent”
“Il faut d’abord réguler l’exposition aux réseaux sociaux, qui met réellement les jeunes en danger”, avertit Christine Cannard. Et c’est là où les parents si détestés reviennent sur le devant de la scène ! “Il ne faut pas qu’ils baissent les bras, même s’ils ont l’impression de ne pas faire le poids face aux influenceurs et youtubeurs dont l’avis est bien plus important… ça ne veut pas dire pour autant qu’ils ne comptent pas aux yeux des ados, au contraire ! Ces derniers ont besoin de grandir dans un cadre structurant. Les parents ne doivent pas avoir peur des conflits !” Le livre Mots d’ados d’Irvin Anneix peut les y aider, en montrant combien ces derniers sont finalement éphémères. “Hier comme aujourd’hui, les ados ont besoin de s’opposer, pour s’affirmer”, rappelle la psy. “Ils clament avoir besoin d’indépendance mais en réalité, ils sont complètement dépendants. Et hier comme aujourd’hui, la famille compte toujours beaucoup !”
Ainsi le rappelle Hayat, avec cette belle déclaration : “Tu es l’homme de ma vie, Papa !” Ou Paul, en 2014, quand il regrette les absences de son père, “un coup de vent”. Nombreux sont les témoignages en ce sens. “Le modèle familial a changé, donc ils sont plus nombreux aujourd’hui à évoquer leur souffrance face à la séparation des parents, les difficultés à accepter les beaux-parents, la famille recomposée”, remarque Irvin Anneix. Car l’adolescence est aussi l’apprentissage douloureux des premiers chagrins et des premières séparations – parfois définitives.
“Tu n’es pas dans ce foutu ciel”
“Tu es décédée il y a deux ans et j’arrive encore à sentir tes mains chaudes qui viennent me border le soir”, écrit Denise à sa Mamie. “Je regarde le ciel et je ne vois rien, j’entends partout que les anges partent au ciel, mais je ne te vois pas.” Les jeunes vivent leur chagrin avec rage, et en veulent généralement au monde des adultes de ne pas les avoir suffisamment préparés, d’avoir édulcoré les réalités, de leur avoir “raconté ces conneries”, comme écrit l’un d’eux.
De même quand ils se trouvent confrontés aux premiers chagrins d’amour et d’amitié : autant de problématiques constantes, mais vécues de façon de plus en plus violente. “Il est peut-être devenu plus difficile d’exprimer ce qu’on ressent et il y a moins d’insouciance, le futur peut faire peur”, remarque Irvin Anneix. “Les questions identitaires et existentielles, quel est notre but sur terre, etc… reviennent toujours, mais la souffrance intérieure est plus grande quand il y a la nécessité de paraître, de “porter un masque”, comme beaucoup l’écrivent.” La psy approuve : “C’est la société qui a changé, pas les ados. Notre société de l’image accentue le jugement d’autrui et cette très forte injonction à se conformer aux normes a des conséquences psychologiques importantes.”
“Pourquoi est-ce aussi dur de dire deux mots ?”
Le regard des pairs a son poids jusque dans les premières amours et la découverte de la sexualité… qui se compliquent, parfois même se dénaturent, à cause de cette exposition permanente à la vie… et à l’avis des autres ! Cela se ressent dans beaucoup de textes qu’on retrouve dans Mots d’ados : les petites amourettes légères du sortir de l’enfance deviennent parfois des histoires trop lourdes à porter et peuvent virer au drame. Heureusement, certaines questions immuables sont toujours… aussi candides : “Comment embrasser, la première fois ?” “C’est une question qui revient vraiment tout le temps, à toutes les époques”, s’amuse Irvin Anneix. “Comment lui dire je t’aime ?” est tout aussi immuable : “Deux mots qui changent ton destin”, remarque Thaïs, qui n’arrive pas à les dire à celui qui fait “battre son coeur”.
Malgré leurs airs avertis, les ados cherchent toujours l’Amour, même si cette quête se double plus souvent, aujourd’hui, d’une quête identitaire. “Dès la quatrième, ils sont tous à se demander s’ils sont bi-, homos ou hétéros, parce qu’ils voient ça partout, sur internet, dans leurs séries… C’est tout aussi absurde que se proclamer “en couple” à douze ans”, déplore Christine Cannard. Pour autant, la libération de la parole sur ces questions a aussi des effets positifs, constate Irvin Anneix : “On ressent dans les textes d’aujourd’hui une plus grande tolérance, beaucoup d’ados se définissent comme non-binaires, font une vraie distinction entre le sexe de naissance et le genre, acceptent mieux l’homosexualité… de même que beaucoup se disent révoltés par le racisme, l’homophobie, les inégalités…”
“Tu sais quoi ? Il revient le bonheur !”
Idéalistes à travers toutes les générations, les ados témoignent aussi, à travers le livre Mots d’ados, comme à travers les vidéos d’Irvin Anneix, de l’optimisme inaltérable de la jeunesse : si grand que paraisse parfois leur désespoir, leurs écrits expriment aussi la force de rebondir. “Il y a toujours un bout à ce foutu tunnel”, remarque ainsi Aurélie, encourageant son “moi futur” ! Ceux d’aujourd’hui sont peut-être même plus raisonnables, plus déterminés à préserver leur avenir, en commençant par leur santé. “Ils semblent plus sensibilisés aux problèmes d’addictions que les générations précédentes”, remarque Irvin Anneix. Seule leur addiction… aux écrans, ne semble guère les préoccuper ! Mais ces derniers ont aussi leurs côtés positifs. “Je suis persuadé que les réseaux sociaux forment une communauté où les membres peuvent s’épauler et se soutenir. Les ados manquent d’espaces de communication. Les réseaux inventent de nouvelles manières de parler de soi, accessibles à tous, ils sont devenus les nouveaux journaux intimes !” s’enthousiasme Irvin Anneix.
Mots d’ados. Une collection de journaux intimes d’adolescents, par Irvin Anneix, collection Albums Beaux Livres Hoëbeke, chez Gallimard, avril 2021, 16,90 €. Commander sur la Fnac ou Amazon.
Le journal intime, un défouloir inusable
Offrir à vos enfants, vers 12 ans, l’un de ces fameux petits cahiers à cadenas qui libèrent la tête, c’est une aide précieuse pour affronter la crise qui les attend… et un cadeau pour la vie ! “C’est une démarche très différente que de s’afficher sur Snapchat : on n’écrit pas pour les autres, pour se mettre en avant, mais uniquement pour soi”, souligne Christine Cannard. “C’est un outil qui aide à réfléchir, à prendre du recul, en cette époque de la vie où on cherche à savoir qui on est… et c’est aussi notre travail de parents de les aider à se trouver !” Ce travail d’introspection peut aussi être créatif, comme le prouvent ceux qui ont été recueillis, souvent enrichis de dessins, photos, collages… Et quel plaisir étonné, amusé, de se relire des années après – quand la crise sera bien loin derrière soi !
Autres mots… mêmes maux
Plus axé sur le conseil pratique, un autre ouvrage sur le même thème a été publié récemment par une petite maison d’édition auvergnate : “Avec des Mots”, signé par une infirmière spécialisée dans la prise en charge des adolescents au centre hospitalier d’Aurillac, Emmanuelle Mercier. Elle recense les problématiques les plus souvent évoquées par les ados qu’elle reçoit en consultation psychothérapeutique. Famille, amitié, amour, sexualité, harcèlement… pour chaque thème, elle apporte son expertise, son analyse et ses conseils. Préfacé par le Dr Pommereau, spécialiste de la psychiatrie de l’adolescent, illustré par des cas cliniques, ce livre aide les ados en souffrance à se sentir moins seuls, et leurs parents désemparés à trouver des solutions pour les aider. Avec des Mots, éditions de la Châtaignerie, 14,90€.
*Les vidéos du studio sont à retrouver sur YouTube, ainsi que deux web séries, “Cher futur Moi” et “La vingtaine en quarantaine”, tournée pendant le premier confinement.
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