Avec Les flamboyantes – paru aux Equateurs en avril – la coach et psychanalyste Charlotte Montpezat met en lumière le traitement des femmes de plus de 50 ans dans notre société, brisant ainsi le tabou de leur invisibilisation. Un essai très accessible, mêlant histoire personnelle et solides références mais aussi études et témoignages divers. Rencontre avec son autrice !
Qu’est-ce qui a déclenché l’écriture du livre Les flamboyantes?
Charlotte Montpezat : Le matin de mes 45 ans, j’ai reçu sur mon bureau un courrier émanant de la Direction des ressources humaines de mon entreprise qui m’annonçait que j’étais devenue une senior, et qu’il fallait que nous parlions de ce nouveau statut. J’avoue que je suis tombée de ma chaise ! Dans le même temps, mon couple a éclaté, et mon mari est parti avec une fille plus jeune que moi. Tout cela – mélangé aux propos de Yann Moix sur le fait que les femmes de 50 ans n’étaient plus désirables – m’a brutalement ouvert les yeux sur l’âgisme et le sexisme.
Avant je n’étais pas féministe, parce que je pensais que les combats avaient déjà été menés et que tout allait bien. Par ailleurs, je n’avais pas particulièrement peur de vieillir. Et soudainement, je me suis tout pris dans la figure. J’ai commencé à lire, notamment Simone de Beauvoir, et à prendre conscience de la situation des femmes en général, mais aussi des femmes plus âgées, à partir de 45/50 ans. J’ai réalisé que pendant des années, j’avais moi-même, inconsciemment, participé à leur ostracisation en me disant qu’il y avait d’un côté « nous », les jeunes femmes, et puis de l’autre « les vieilles », sans intérêt. Plus généralement, j’ai perçu la manière folle dont elles étaient invisibilisées partout.
Que répondriez-vous à ceux (ou celles) qui arguent que l’âgisme touche autant les hommes que les femmes ?
Charlotte Montpezat : Comme le disait déjà l’essayiste Susan Sontag en 1972 dans un article intitulé « The double standard of aging », ce n’est pas du tout pareil de vieillir pour un homme ou pour une femme. A 50 ans, les hommes sont encore considérés comme socialement séduisants et puissants, à la manière d’un Georges Clooney ou d’un Brad Pitt. Ils sont très présents dans les représentations, au cinéma, dans les pubs, à la télé… Alors qu’à cet âge-là, les femmes sont considérées comme périmées. Alors certes, les hommes peuvent eux aussi souffrir de l’âgisme. Mais de leur côté, les femmes souffrent de l’âgisme et du sexisme. Et malheureusement, les discriminations s’ajoutent, elles ne s’annulent pas ! C’est particulièrement visible dans le travail. On voit bien que la carrière des femmes souffre de discriminations sexistes, du début à la fin, depuis le congé maternité jusqu’à la retraite. Pour rappel, à salaire égal dans l’entrée dans une entreprise, on arrive à un écart de 28% en moyenne, en fin de carrière…
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Cette discrimination « genre-âge », et cette idée de date de péremption, interviennent alors que, soulignez-vous, les femmes de 50 ans et plus sont encore en pleine possession de leurs moyens physiques, intellectuels, et allégées d’un certain nombre de responsabilités familiales. Comment expliquer ce décalage ?
Charlotte Montpezat : Dans les sociétés patriarcales, les femmes sont principalement valorisées parce qu’elles sont capables de faire des enfants. A partir du moment où elles ne peuvent plus, c’est-à-dire au moment de la ménopause, vers 45/50 ans, elles perdent de leur intérêt. Et c’est comme si on ne savait plus quoi en faire. Cela donne lieu à un mouvement très performatif, puisqu’en réaction, beaucoup de femmes se disent, elles-mêmes, qu’elles ne servent plus à rien, lâchent la barre, arrêtent de prendre soin d’elles ou de se lancer dans des projets. Au contraire, dans certaines sociétés moins patriarcales, en Afrique notamment, lorsque les femmes ne sont plus en âge de procréer, elles sont valorisées d’une autre manière. On considère qu’elles sont comme libérées de cette fonction et qu’elles peuvent alors mettre leurs expériences et connaissances au service des affaires de la cité. On devrait s’en inspirer. Heureusement, les choses commencent enfin à changer, on sent que ces tabous de l’âge et de la ménopause commencent à se fissurer, notamment grâce à des témoignages de personnalités telles Jennifer Lopez, Salma Hayek ou Oprah Winfrey.
Pourquoi, à votre sens, a-t-il fallu attendre si longtemps pour que ce tabou se lève alors même que la parole se libère depuis de nombreuses années autour du corps et des injonctions faites aux femmes ?
Charlotte Montpezat : Il y a plusieurs raisons. La première est que les féministes, auparavant, ne se sont quasiment jamais emparées de la question de l’âge. L’exemple de Simone de Beauvoir est frappant. Elle écrit qu’elle se regarde dans le miroir à 40 ans, que la vieillesse la guette et qu’elle en est désespérée. Comme si le fait de prendre de l’âge lui mettait un coup d’arrêt, sans qu’elle arrive à analyser ce processus, alors même qu’elle est capable de déconstruire tous les sujets. Elle finit par se pencher sur la vieillesse, mais uniquement sous le prisme du grand âge. Ce qui change aujourd’hui, c’est qu’entre l’époque de Beauvoir et la nôtre, on a gagné 20 ans d’espérance de vie. Grâce aux progrès de la médecine et aux évolutions sociétales, ces années entre 45 et 65 ans ne viennent pas se greffer au grand âge, mais elles créent un nouvel espace-temps qui n’existait pas auparavant. Là où ma grand-mère était une vieille dame à 55 ans, moi, du haut de mes 57 ans, je ne le suis pas ! Par ailleurs, ma génération est la première à s’être emparée de façon aussi massive du travail. Nous sommes donc peut-être plus sensibles que d’autres aux discriminations et aux injustices que les femmes peuvent subir, notamment en raison de leur âge. Cela permet à la parole de se libérer, enfin, sur ce sujet pour que les choses changent.
Justement, au-delà du constat assez révoltant que vous posez, votre livre propose aussi des solutions : alors à votre sens, quelles actions concrètes pourrait-on mettre en place afin de traiter les femmes à leur juste valeur ?
Charlotte Montpezat : Il y a d’abord un gros travail à effectuer au niveau de la représentation. Il faudrait que les femmes de plus de 50 ans apparaissent, réellement, dans les magazines, au cinéma, dans les médias en général. Et qu’on leur donne la parole. Ce qui est important c’est que cette représentation ne soit pas caricaturale, mais multiple, complexe et positive. Car la séduction, la sexualité, les aventures, les projets professionnels et personnels ne s’arrêtent pas à 50 ans ! Il y a aussi évidemment des actions à mener au niveau politique, parce que les enjeux sont énormes. Il faudrait par exemple des obligations pour les entreprises dans le traitement et les embauches de salariées de plus de 50 ans, la mise en place de baromètres internes et d’audits pour suivre l’évolution de la carrière des femmes du début à la fin, afin de s’assurer que les marges de progression ou les taux de formation sont les mêmes que l’on soit un homme ou une femme. Je pense qu’on a aussi un pouvoir important au niveau individuel. Il faut arriver à se dégager de ce message négatif autour de notre date de péremption, en faisant par exemple son propre audit pour se rendre compte qu’on est en bonne santé, performant et qu’on a beaucoup de choses à apporter aux autres et à vivre !
Les flamboyantes, par Charlotte Montpezat, paru en avril 2023 aux éditions Les Equateurs, 203 pages, 21 €. Commander
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