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L’Effondrement (et après) expliqué à nos enfants… et à nos parents : rencontre avec un des auteurs

Par Pauline Leduc - Mise à jour le

livre sur l'effondrement gautier chapelle

Avec L’effondrement (et après) expliqué à nos enfants… et à nos parents (Seuil), Gauthier Chapelle et Pablo Servigne tissent à quatre mains un tendre dialogue intergénérationnel qui donne foi en l’avenir et apporte de nombreuses pistes pour évoquer en famille les crises que nous traversons.

Ensemble, Gauthier Chapelle et Pablo Servigne ont déjà écrit, L’entraide, l’autre loi de la jungle (Les liens qui libèrent, 2017) mais aussi, avec Raphaël Stevens, Une autre fin du monde est possible (Seuil, 2018).  Dans L’effondrement (et après) expliqué à nos enfants… et à nos parents, paru au Seuil cet automne, les deux ingénieurs agronomes et docteurs en biologie s’attaquent à nouveau à ce mot qui fait peur avec pédagogie et espoir. Sans pour autant minorer les crises qui nous entourent, et leurs conséquences, les deux auteurs tissent ensemble une discussion fleuve intergénérationnelle qui fait la part belle à la préservation des liens. Construit autour de trois dialogues successifs  – avec Lucie (13 ans), Camille ( 22 ans) et des grands-parents qui cumulent à eux deux 150 ans – ce petit livre mêle humour, tendresse, éléments factuels et intimes et parvient, malgré la gravité des sujets évoqués, à nous faire du bien. C’est aussi une mine d’informations pour évoquer avec nos enfants les multiples crises qui guettent et répondre à leurs inquiétudes sur une potentielle fin du monde façon Walking Dead ! Rencontre avec Gauthier Chapelle, qui, au-delà de ses publications, recherches et interventions, a créé voilà deux ans avec six autres parents, une petite école informelle dans les bois qui accueille des enfants de 2 à 8 ans.

Comment évoquer avec les enfants les catastrophes qui nous entourent ?

Gauthier Chapelle : Il y a un principe à respecter quel que soit l’âge de l’enfant : ne jamais précéder les questions. Et ne pas extrapoler. Lorsqu’un jeune pose une question, il attend une réponse et pas qu’on lui fasse un cours. S’il veut en savoir plus, il posera une autre question et ainsi de suite. Avec les plus petits on fait très attention à ce qu’on dit devant eux et on n’évoque pas spontanément ce qui ne va pas. De même, face à une situation précise, comme le fait de trouver des déchets par terre, je ne vais pas faire trop de développements ou inscrire cela dans un contexte général. Il s’agit plutôt de valoriser l’existant. L’enfance est une période particulièrement propice à l’émerveillement du vivant, au contact de la nature. On les pousse vers ça pour les aider à développer ce lien et à mesurer son importance.

A quel point peut-on rentrer dans les détails sans pour autant piétiner leur insouciance : peut-on tout dire quel que soit l’âge ?

Je pense qu’on peut tout dire tant que notre propos répond précisément à une question posée. Un enfant ne va pas demander spontanément quel est l’impact de la hausse moyenne de la température sur les récifs coralliens. Alors ce n’est pas la peine de lui parler de ça. A partir du moment où il va, par ses interrogations, sortir lui-même de l’insouciance, cela veut dire qu’il est prêt à entendre nos réponses. Ces questions arrivent en général naturellement à l’âge de raison, vers 6 ou 7 ans. Il y a un point de vigilance particulier avant toute discussion technique sur l’avenir ou les changements climatiques : vérifier leur appréhension du temps et de l’espace. Lorsque les enfants sont petits, ces notions sont très abstraites, il faut donc faire attention à adapter son discours pour ne pas susciter de confusion ou d’inquiétude : inutile de se projeter dans 20 ans quand même un mois est difficile à « comprendre ». Ensuite, il faut évidemment les accompagner. Il est très important de leur demander ce que ça leur fait, de mettre des mots sur leurs émotions mais aussi de parler de nos propres affects. Cela nous force d’ailleurs, en tant qu’adultes, à s’interroger sur nos propres angoisses et sur la façon dont on vit notre monde. Si les enfants ressentent que nous ne sommes pas au clair avec nous-même, cela peut créer de l’angoisse.

Justement, de quelle façon, les accompagner ensuite pour éviter qu’ils soient paralysés par l’angoisse et coincés dans ce qu’on nomme aujourd’hui l’éco-anxiété ?

Le problème avec le concept d’« éco-anxiété », c’est qu’il sous-entend que c’est celui qui le ressent qui a un problème. Or, ce n’est pas le cas ! Le préciser est une clé pour aider à se sentir moins seul. Il faut répéter à nos jeunes que leurs émotions – la peur, la colère ou la tristesse – face à l’avenir de notre monde sont saines et légitimes. Comme nous l’écrivons dans notre livre, derrière la tristesse, il y a l’amour, derrière la colère, il y a le besoin de justice, et derrière la peur, il y a un instinct de protection. C’est normal d’être inquiet de la disparition des baleines ou de la forêt amazonienne. Et c’est normal que ça les touche. Ce qui est bizarre, c’est que nous, adultes, collectivement, on n’arrête pas les dégâts alors qu’on sait que c’est néfaste. Par ailleurs, il me semble important d’expliquer, particulièrement aux adolescents, que leur ressenti est dynamique. C’est-à-dire que tous les états psychologiques évoluent et qu’ils ne resteront pas pour toujours coincés dans la tristesse ou l’angoisse.

Un autre sentiment difficile à gérer, pour les petits (comme pour les grands), c’est l’impuissance…

Oui et c’est un ressenti d’autant plus fort pour les jeunes puisqu’on leur renvoie souvent l’idée qu’ils ne peuvent pas faire grand-chose tant qu’ils ne sont pas grands. Et puis même quand on est grand on se sent souvent impuissant ! Il faut accueillir cette émotion, apprendre à composer avec et ne pas la nier. Elle amène souvent un sentiment de vide mais l’avantage du vide, c’est qu’il donne l’occasion de pouvoir créer quelque chose d’autre ! Je conseille aussi aux adolescents de ne pas rester seuls avec leurs questions et de se joindre à un collectif afin de pouvoir partager leurs affects. Cela soulage beaucoup de rencontrer d’autres personnes qui partagent nos peurs, colères, mais aussi nos espoirs. Et puis c’est aussi l’occasion d’agir ensemble. Quand on est enfant, dans un premier temps, on peut faire beaucoup de petits gestes au quotidien qui, mis bout à bout, participent à faire la différence, comme trier ses déchets ou cultiver son potager. Certains jeunes comme Greta Thunberg et bien d’autres moins connu.es décident aussi de mettre leurs combats, comme la protection de l’environnement, au centre de leur vie et fourmillent d’initiatives. Ce sont alors les parents qui ont du mal à suivre la cadence… De mon côté, par exemple, mes deux grands enfants sont engagés dans des ZAD (ndlr, Zone à défendre) et m’ont d’ailleurs inspiré toute une partie du livre.

Vous consacrez aussi dans L’effondrement (et après) expliqué à nos enfants… et à nos parents, une place importante au dialogue avec les grands-parents. Quel rôle peuvent-ils jouer auprès de leurs petits enfants ?

La génération actuelle de grands-parents n’a pas vécu dans le même contexte que les enfants d’aujourd’hui et n’avait pas le même recul sur l’impact de notre mode de vie. D’où un important décalage. Mais c’est dans l’ordre des choses que les anciens soient des modèles pour les plus jeunes. Il semble alors important que les grands-parents, au minimum, encouragent les efforts ou questionnements de leurs petits-enfants lorsqu’ils tentent de penser ou créer un monde meilleur, voire même montrent l’exemple, plutôt que de se contenter de les féliciter. Du côté des parents, on sent souvent une tendance à vouloir épargner leurs propres parents et à faire tampon entre eux et leurs enfants. Mais ce n’est pas une bonne idée. Cela peut empêcher des dialogues transgénérationnels bien plus riches et apaisés que ce qu’on pourrait imaginer.

L’effondrement (et après) expliqué à nos enfants… et à nos parents , de Gauthier Chapelle et Pablo Servigne, chez Seuil, septembre 2022, 12 € – Commander sur la Fnac ou Amazon.

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