Temps d’écran, temps de sommeil, temps de concentration, passe-temps, les adolescents n’ont vraiment pas l’time ! La faute à un planning digne d’un ministre ou de difficultés à gérer leur temps. Alors, comment aider les ados à s’organiser, à anticiper, bref, à gérer leur temps ? On s’est posé la question avec des parents d’enfants aux yeux rivés sur le présent : pour eux, le futur, c’est dans 10 000 ans.
Des écrans qui bousculent le rapport au temps et aux autres des ados
« C’est à nous, parents, d’organiser les rencontres entre enfants ». Gaëlle, maman de 3 garçons, entourés de familles où il n’y a que des garçons, se désole du temps que consacrent ses ados et leurs copains aux jeux vidéo et autres échanges de SMS : « Il faut les pousser à faire une activité en extérieur avec les copains – un match de basket, aller les uns chez les autres – sinon ils disent qu’ils vont le faire et n’y vont finalement pas ». C’est d’autant plus consternant que tous habitent des appartements mitoyens.
En cause, l’ordinateur sur lequel les ados jouent en ligne avec leurs copains. Ils disent qu’ils vont se rencontrer à un moment de la journée, et la soirée ou le week-end s’achève sans qu’ils ne se rendent compte du temps qui passe très vite derrière l’écran. « Ça les coupe de beaucoup d’autres choses et ils ne prennent plus le temps de se voir. C’est alors nous qui nous en chargeons ».
Des ados qui font tout dans l’urgence
« En fait, il n’y a pas de choses auxquelles ils aimeraient consacrer plus de temps, et c’est pareil pour toute leur bande de copains ». C’est ce que nous confie Gaëlle, au sujet de ses fils : Arthur, 15 ans, en plein brevet des collèges, et Hugo, 12 ans, en cinquième, scolarisés à Paris. Ils ont un frère de 8 ans, Elliott, trop petit encore pour être concerné par ces problématiques. Ce qu’elle observe, c’est que tout est fait au dernier moment, car ils n’ont plus aucune notion du temps :
- Pour aller se coucher, ils ne se rendent pas compte qu’ils ont besoins de beaucoup d’heures de sommeil pour ne pas être fatigué le matin.
- Pour le sport ou les activités, l’organisation est toujours faite à la dernière minute par des rappels à l’ordre parentaux répétitifs, parce qu’ils n’arrivent pas à anticiper.
- Pour les devoirs, il faut faire attention à leur place – aux lectures, aux rendus – car si les parents ne sont pas là pour leur demander s’ils les ont bien préparés, tout est fait dans l’urgence, même quand ce n’était pas urgent à la base.
La source de tous ces maux est donc leur rapport au temps, distendu par l’usage des écrans : « Ils répètent en boucle : j’ai le temps, je le ferai plus tard », pour finalement se retrouver à être stressé à tout faire à la dernière seconde, voire pas du tout, constate Gaëlle.
Les autres coupables : « La flemme, maintenant, c’est l’expression à la mode », et le mauvais exemple que les adultes leur donnent : « Quand les enfants nous voient rivés mon mari et moi sur nos PC en télétravail du matin au soir, ils imaginent qu’on a un super ordi portable et qu’on joue : Pourquoi ce serait dérangeant que moi je joue sur un écran alors que mes parents le font toute la journée, avec en plus un téléphone greffé à la main se disent-ils », diagnostique Gaëlle. Elle est aussi attristée que dans ces conditions, les contacts humains se perdent.
S’organiser et gérer son temps, ça s’apprend dès le Primaire
« On a vraiment vu la différence entre le début et la fin du CM2. Sa prof lui a appris, à lui et sa classe, la méthodologie de l’organisation des devoirs – comment apprendre, prendre de l’avance – et cela l’a beaucoup aidé, jusqu’à aujourd’hui, et pour tout ». Selon Charlotte, maman d’Oscar, 12 ans, et de Timeo, 9 ans, c’est le meilleur conseil qu’on puisse donner aux parents : avoir un référent extérieur, idéalement de l’école – même si ce n’est malheureusement pas toujours le cas – qui va apprendre aux enfants à commencer à gérer leur temps, en préparation de l’entrée en sixième. « Cette préparation a été hyper bonne et importante pour Oscar. Elle est nécessaire, car le collège, c’est autre chose : des professeurs différents, beaucoup de devoirs ». Pour Charlotte, il faut que le pré-ado soit bien préparé psychologiquement à cette nouvelle vie.
Un pas vers l’autonomie… et l’entrée au collège
La conséquence de cette préparation : l’autonomie. « Oscar est désormais complètement autonome : il se lève tout seul avec son réveil, va tout seul à l’école en métro, fait ses devoirs sans qu’on ait rien à lui dire. Pareil pour le foot le lundi, le handball le mercredi, et la guitare. On n’est plus derrière son dos depuis la sixième. Il prend même de l’avance sur ses devoirs, car il ne veut pas être débordé » relate Charlotte.
Il veut aussi prendre de l’avance pour profiter de son temps d’écran, auquel il n’a le droit que du vendredi soir au dimanche. C’est la règle instaurée depuis tout-petit dans la famille de Charlotte : « Lui et son frère sont frustrés de ne pas avoir accès à plus. Je leur explique que ce n’est pas pour les embêter, mais qu’il y a plein d’études qui disent que ce n’est pas bon pour leur cerveau en développement, et que c’est pour ça qu’il faut faire attention ». Conscients de ces enjeux, ils acceptent plus facilement la règle. « Je leur montre qu’il faut trouver son bonheur ailleurs. On fait des jeux de société, on joue aux cartes, aux échecs, on fait du vélo…Il faut les éveiller autrement ».
Comment gère-t-on son temps quand on est ado en 2024 ?
« Nous, ados, on discutait pendant des heures posés sur un banc. Aujourd’hui, ils font la même chose, mais sur Insta. On fait toujours avec les moyens du bord ». C’est ce que pense Claire, maman d’Alice, 15 ans, et de Florence, 13 ans. Il faut se rendre à l’évidence, toute la vie de nos enfants est sur les applis et Internet : les devoirs et l’école sur PRONOTE (Ecole Directe pour le privé) et les copains sur WhatsApp, avec le PC tout le temps ouvert pour écouter de la musique sur YouTube en faisant ses devoirs.
Claire a établi un contrôle parental sur les appareils numériques jusqu’à 15 ans. Cette nouvelle liberté acquise cette année par Alice ne l’empêche pas de vivre “sa vraie vie”, même en parlant des heures au téléphone avec ses copines. Et pour ses deux filles, l’existence des applis scolaires permet à leur maman de n’avoir jamais à gérer les devoirs, les changements de salle et d’emplois du temps, puisque leurs filles s’en chargent d’elles-mêmes. Du temps libéré pour les parents, ça aussi c’est important.
Vivre l’instant, et se faire plaisir
Arnaud Delannoy est professeur à l’école de commerce EM Normandie du Havre. Pour lui qui travaille sur la construction de l’identité sociale de l’adolescente à travers la marque de luxe, la gestion de leur temps est surtout liée à la gestion de l’instant, les projections dans le futur n’étant pas très présentes : « Le temps est surtout consacré au plaisir ou à la recherche de plaisir pour faire face en réalité à une crise de construction identitaire faite de frustrations : manque de liberté dans la projection vers la vie d’adulte, des barrières cadrantes vécues comme un frein ».
Tirer profit du numérique… pour gagner du temps
L’enseignant-chercheur confirme le rôle du numérique dans la vie des adolescents, partout et pour tout : bosser les cours, échanger, s’amuser. Malgré cela, une synchronisation est possible :
- En famille, si la gestion de l’autonomie de l’enfant est basée sur une complicité et une confiance de la part des parents.
- À l’école, s’ il y a « un cadre pour sortir du cadre » : des deadlines et des règles pour leurs projets, un environnement permettant le développement de la confiance en soi par le courage et la prise de risque via l’apprentissage par l’erreur.
- En société, s’il y a beaucoup de dynamiques de groupe : « Il est rare de réussir seul. Nous montrons aux étudiants qu’ensemble on va plus loin ! »
« Ceux qui réussissent leur rapport au temps sont plutôt ceux qui utilisent Internet pour grandir, se former, avoir des opportunités…Si c’est pour regarder Les Anges, c’est mal barré ». Arnaud Delannoy se veut volontairement provoquant pour une raison : « Au lycée et dans le supérieur, il y a plus de temps libre, mais une plus forte pression sociale et des parents qui attendent des résultats et nourrissent des espoirs de réussite pour leurs enfants ».
Maîtriser son temps pour affirmer son identité
Christian Clot, explorateur-chercheur et directeur du Human Adaptation Institute, a voyagé dans plus de 60 pays, de l’Iran au Rwanda. Il observe que le problème majeur de la société moderne est partout le même : le manque de temps et la volonté d’aller vite. Dans ce monde où si on ne réussit pas à entrer dans le moule, on a raté sa vie, il invite les jeunes à reprendre en priorité la maîtrise de leur temps, au moins une fois par semaine, en faisant quelque chose qu’ils n’ont pas l’habitude de faire, pour ne pas céder à la tyrannie de la norme.
Car le temps adolescent est fait aussi pour ça : construire son identité dans le respect des normes, tout en s’en affranchissant quand celles-ci étouffent l’audace et la volonté de se distinguer.
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