Pour les ados et les jeunes adultes, le sacro-saint rendez-vous du soir devant la télé est un rituel qui appartient définitivement au passé ! On décrypte pour vous leurs pratiques en matière d’audiovisuel, à l’heure du tout-numérique…
Le bon vieux poste de télévision et ses programmes fixes, devant lesquels tout le monde se rassemblait dans le salon ? Cette tradition, jadis très consensuelle, est en passe d’être reléguée à l’âge des cavernes cathodique. Aujourd’hui, les plus jeunes délaissent très largement le petit écran pour privilégier la consommation sur leurs ordis, téléphones et tablettes, de films, séries, documentaires et autres animés disponibles sur des sites de streaming tels que Netflix, Amazon Prime Vidéo, Disney +, OCS et Canal +. On peut même dire que ces plateformes font partie (très) intégrante de leur culture personnelle.
Déjà très puissants avant la crise sanitaire et dopés encore par les confinements, les services de vidéo à la demande sur abonnement sont utilisés désormais, selon une étude réalisée par le CSA (Conseil supérieur de l’audiovisuel) et la Hadopi (Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet) par 8,3 millions de personnes en France. Un engouement pour le streaming dont est largement responsable la génération dite Z, celles des personnes nées entre 1995 et 2010. On le constate à travers les enquêtes : un sondage YouGov effectué en octobre 2020 sur leurs marques préférées montrait ainsi que Netflix figurait sur la première marche du podium.
Aux origines du streaming
Pour le psychologue et psychanalyste Michael Stora, co-fondateur de l’Observatoire des Mondes numériques en Sciences Humaines, cette évolution a cependant trouvé ses premiers germes bien avant l’avènement de Netflix, la plateforme de streaming incontournable, co-dirigés par Ted Sarandos et Reed Hasting. « Je pense que ce mouvement existe depuis l’arrivée des box. Cela a modifié le rapport à l’espace-temps. Le JT ou des émissions comme Koh Lanta ou The Voice peuvent encore réunir toute la famille devant la télévision, mais globalement nos enfants ont un rapport très horizontal à la consommation d’images ».
Un usage qui est à surveiller, selon notre spécialiste, afin qu’il ne verse pas dans le binge-watching , mais qui n’est pas forcément synonyme d’égoïsme, d’isolement ou de fragilisation du lien au sein du cercle familial. « D’un côté, chacun a son profil et ses préférences mais il arrive qu’on regarde ensemble ce type de contenu sur le poste de télévision. Cela dit, c’est vrai qu’il y avait auparavant bien plus d’occasions de regarder tous dans la même direction et d’être dans d’une forme d’attention conjointe. Ce qui reste néanmoins comme possibilité, c’est d’en discuter, même si l’on a n’a pas vu la série en même temps », précise-t-il.
Entre plaisir et gavage, une frontière à trouver
Les fonctionnalités offertes par les plateformes de streaming telles que le speedwatching, qui permet de suivre l’intrigue et ses dialogues jusqu’à 1,5 fois plus rapidement que la vitesse originelle, lui semblent plus toxiques car elles encouragent la compulsion, qui est déjà très ancrée dans nos façons d’être contemporaines. « Ce qui m’inquiète dans ce procédé, surtout quand il s’agit de visionner des fictions de grande qualité, c’est le mépris dont cela témoigne pour la série en elle-même. Le temps mort fait partie de l’œuvre, ce que notre société très pulsionnelle a du mal à admettre ».
Mais lorsqu’ils sont confrontés à des comportements face aux écrans qu’ils jugent problématiques chez leurs rejetons, les parents se retrouvent souvent démunis. Fixer des limites-horaires à ne pas dépasser ou jouer les gendarmes se révèle en effet souvent stérile. Mieux vaut donc, pour Michel Stora, faire en sorte de s’y intéresser… « Je pense que la question du partage est centrale. Les ados ont besoin d’avoir leur bulle et leur espace d’intimité mais en discutant avec eux, on transforme cela en quelque chose de moins transgressif », explique-t-il.
D’autant que si ces plateformes de streaming ont tendance à leur voler pas mal de leur temps de cerveau disponible (et parfois du nôtre), elles ont aussi fait souffler un vent nouveau sur le monde de la fiction, dynamitant certains formats et clichés qui ont imposé (trop) longtemps une norme unique. Ce qui est bénéfique pour l’ouverture d’esprit de nos juniors… « Ils sont nés avec la télé-réalité puis l’Internet-réalité, deux supports qui sont d’une grande pauvreté en termes de sens. Netflix et les autres ont au moins le mérite, via leurs créations, d’avoir réintroduit du symbolique. Or, nous sommes dans une société qui en manque, on en a vraiment besoin », conclut-il.
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