Parce c’est une période où nos juniors cherchent à s’éloigner des codes familiaux pour cerner les contours de leur propre individualité, l’adolescence est souvent une phase chaotique. Mais cette quête narcissique peut l’être encore davantage lorsqu’il s’agit d’adolescents adoptés. Explications.
A la fin des années 80, dans Le complexe du homard, Françoise Dolto, légendaire pédiatre qui a marqué de son empreinte plusieurs générations, avait utilisé une métaphore animale pour expliquer la difficulté d’être adolescent, au-delà des simples transformations physiques. « Les homards, quand ils changent de carapace, perdent d’abord l’ancienne et restent sans défense, le temps d’en fabriquer une nouvelle. Pendant ce temps-là, ils sont très en danger. Pour les adolescents, c’est un peu la même chose. Et fabriquer une nouvelle carapace coûte tant de larmes et de sueurs que c’est un peu comme si on la « suintait » » écrivait-elle.
A la quête de soi… plus ardu pour un enfant adopté
Or, cette mue qui consiste à délaisser le « soi » qui était le nôtre quand on était petit, pour se forger sa personnalité définitive, est fréquemment plus complexe dans le cas d’une adoption. Car le mouvement naturel qui amène l’enfant à vouloir gagner en indépendance, en liberté et à se démarquer de son père et de sa mère, auxquels il s’était jusqu’alors identifié, peut prendre alors des accents très douloureux.
« Se poser des questions sur ses origines est très classique. C’est en effet à ce moment-là que le jeune va rejouer beaucoup de choses au niveau identitaire, notamment donc, le lien d’attachement à ses parents, qui est le socle avec lequel il s’est construit et où il va se réinventer une forme d’affiliation au groupe de ses amis. Si cette base est sécure, cette séparation peut se passer plutôt bien. C’est plus ardu pour un enfant adopté, car il doit faire à la fois le « deuil » de ses parents idéalisés et de son pays » explique la psychologue et psychothérapeute Yveline Exbrayat, qui accompagne dans sa pratique des couples qui entreprennent des démarches d’adoption.
L’incomplétude de la recomposition personnelle
Dans ce processus, il manque en outre à l’adolescent adopté des pièces à son puzzle, surtout s’il a été abandonné bébé et/ ou n’est pas capable de donner un nom, un visage, d’accoler des caractéristiques à ceux qui lui ont permis de venir au monde. « Il doit pouvoir se construire un mythe familial pour pouvoir s’en éloigner » précise la spécialiste. Et s’il est assez classique et normal que notre teenager, très préoccupé par le regard de son entourage social, soit désormais gêné par la présence de ses parents, ne les « assumant » plus comme il le faisait auparavant, et leur reprochant parfois leurs attitudes trop bêtifiantes, leur âge ou leurs looks, cette honte se double, quand il est adopté, au fait que l’absence de jonction biologique est très visible extérieurement, surtout si parents et enfants n’ont pas la même couleur de peau. « Quelque chose de très intime s’inscrit sur le corps de l’adolescent et il se prend cette réalité en pleine figure » précise Yveline Exbrayat.
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La remise en question des parents adoptifs
Une crise peut par ailleurs en cacher une autre, car le ou les parents adoptifs vivent parfois extrêmement mal cette redéfinition des échanges avec leur fille ou leur fils, surtout si ceux-ci étaient auparavant très tendres ou fusionnels. « Ils peuvent se demander s’ils ont été des parents suffisamment bons et pourquoi ils ne sont plus capables de se connecter avec leurs enfants, sachant qu’ils portent déjà fréquemment la culpabilité de n’avoir pas pu donner la vie. C’est une rupture pour l’ado, mais ça l’est aussi pour eux. Ils doivent avoir l’étayage affectif suffisant pour s’adapter à cette nouvelle configuration relationnelle. Sinon, ils peuvent le vivre comme un véritable abandon ». Aux parents d’enfants adoptés, donc, de se montrer patients, soudés et de ne pas chercher à faire le forcing pour que tout redevienne comme avant. Pour donner de l’air à la cellule familiale, il ne faut donc pas hésiter enfin à se faire aider psychologiquement.
A lire : un roman autour de l’adoption
Après Hurler sans bruit, qui était centré sur la maternité et ses variations, l’écrivaine Valérie Van Oost, décidément inspirée par la parentalité dans tous les états, signe un second roman Les garçons russes ne pleurent jamais. Il dépeint l’adolescence sur le fil de Sacha, 17 ans, enfant adopté en Russie, dont les révoltes existentielles font vaciller ses parents, Antoine et Juliette, et le couple qu’ils forment. Afin de se donner une chance d’aller mieux et de se retrouver, ils entreprennent une croisière sur la Volga, sur les traces des racines de Sacha. Un voyage initiatique sensible et percutant à retrouver aux Editions Librinova (sortie le 20 octobre).
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