
Protéger les enfants sur les réseaux sociaux est devenu un enjeu majeur à l’ère du numérique. Une mission dont chacun se renvoie un peu les responsabilités, alors que tout le monde devrait œuvrer ensemble. A l’occasion de la 22e édition du Safer Internet Day, tout au long de février et mars, on fait le point sur l’usage qu’ont les mineurs des réseaux sociaux avec Samuel Comblez, de l’association e-Enfance. Et sur les mesures mises en place par leurs réseaux sociaux de prédilection, Snapchat, Instagram et TikTok, pour les protéger.
Parmi les acteurs-clés de la protection de mineurs sur Internet, il y a bien sûr les réseaux sociaux eux-mêmes. En France, plusieurs mesures ont été prises ces dernières années pour mieux protéger les jeunes sur les réseaux qu’ils fréquentent le plus. Ces mesures visent à encadrer l’utilisation des plateformes par les adolescents. Et à lutter contre les risques liés à internet, tels que le cyberharcèlement, la diffusion de contenus inappropriés ou la collecte illicite de données personnelles. Citons notamment la Loi du 7 juillet 2023 qui instaure une « majorité numérique » à 15 ans. Ce terme désigne l’âge à partir duquel on estime qu’un individu a le contrôle de sa propre image et de ses informations personnelles.
Plus de 50% des 10-14 ans ont un profil sur les réseaux sociaux
Mais nombreux sont les utilisateurs des réseaux sociaux à être bien plus jeunes. Les chiffres de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) partagés par le site vie-publique.fr mettent en lumière qu’en moyenne, le premier enregistrement sur un réseau social se ferait autour dès 8 ans et demi. Plus de 50 % des adolescents de 10 à 14 ans auraient déjà créé leur profil. Dans le même esprit, une autre enquête de l’association Génération numérique révèle que 63 % des mineurs de moins de 13 ans détiennent au moins un compte sur un réseau social… ce qui officiellement est interdit.
Les plateformes doivent donc mettre en place des méthodologies permettant des vérifications d’âge plus rigoureuses pour s’assurer que les utilisateurs ont bien 15 ans ou plus. Les moins de 15 ans devront obtenir l’autorisation de leurs parents pour créer un compte.
« Il est important que les parents expliquent à leurs enfants l’importance de respecter ces règles sur l’âge. Les parents se désintéressent parfois de l’espace numérique, laissant les enfants libres alors qu’ils ne le font pas au moment de les laisser aller seuls dans la rue », souligne Samuel Comblez, Directeur général adjoint de l’association e-Enfance et Directeur général du 3018, le numéro dédié à la prise en charge des victimes de cyberharcèlement. « Certains enfants seront néanmoins prêts à mentir pour accéder aux réseaux sociaux. C’est alors aux réseaux de mettre en place des mécanismes fiables pour éviter que les moins de 13 ans soient sur les réseaux. Les plateformes font des efforts et mettent des actions en place, mais c’est encore insuffisant. On sait aujourd’hui que l’intelligence artificielle est efficace pour repérer l’âge des utilisateurs. Elle est utilisée pour les sites qui permettent les paris d’argent. On peut s’interroger sur le fait que les responsables des réseaux sociaux n’investissent pas plus pour développer également ce type de technologies ».
Responsabiliser les géants du numérique
Par ailleurs, la loi prévoit des sanctions plus sévères pour les auteurs de cyberharcèlement. Et la loi Avia de 2020 impose aux plateformes numériques de retirer les contenus manifestement illicites dans un délai de 24 heures après leur signalement. Cette obligation a pour objectif de responsabiliser les géants du numérique. Une plateforme en ligne a été sanctionnée pour ne pas avoir supprimé rapidement des contenus haineux visant un influenceur et a été condamnée à une amende de 50 000 euros. « Il faut sur ce sujet également que les acteurs des réseaux sociaux accentuent leurs efforts. Il faut qu’ils fassent en sorte que le système de modération soit plus simple d’accès et plus visible. Aujourd’hui, c’est parfois un parcours du combattant pour qu’une victime s’y retrouve. Il faudrait uniformiser ces déclarations pour tous les réseaux et que les procédures soient les mêmes. Ce n’est pas à la victime de s’adapter ! De plus, il faut plus de réactivité. Quand on envoie un signalement et surtout si la victime est mineure, les réseaux sociaux devraient intervenir beaucoup plus rapidement, si possible dans les heures qui suivent », explique Samuel Comblez.
Un renforcement des mesures de protection des mineurs est aussi apporté par le Digital Service Act (DSA), une loi européenne, qui s’applique bien entendu en France et impose aux grandes plateformes en ligne de mettre en place des mesures de protection des mineurs comme le blocage rapide des contenus illégaux et la vérification de l’âge des utilisateurs.
Des actions positives mais qui ne sont pas suffisantes
Samuel Comblez salue néanmoins les actions mises en place par les réseaux sociaux en France, telles que le couplage du compte des moins de 15 ans à celui des parents. Il permet, sans que le parent accède aux échanges de son enfant, qu’il soit averti, par exemple, si ce dernier signale un harcèlement ou s’il est signalé comme harceleur. Ces contrôles parentaux permettent également de repérer le temps passé sur les réseaux. Ces fonctionnalités permettent d’ouvrir le dialogue et d’éviter que le jeune ne s’enferme dans une potentielle culpabilité. « Il faut appeler à ce que tous les réseaux mettent ces mesures en place, d’autant qu’elles sont en moyenne bien acceptées par les jeunes. Il faut que les plateformes simplifient le paramétrage pour les parents et rendent plus visibles ces options », recommande Samuel Comblez.
Attention aux effets de l’algorithme
Le directeur général adjoint de e-Enfance souhaite également que les enfants et les jeunes ne soient plus soumis à un algorithme strict. « L’enfermement algorithmique peut devenir un grave problème. On est toujours dans des contenus de la même teneur, ce qui ne pose pas forcément de soucis quand l’utilisateur va bien. Mais cela peut être dangereux quand il a du vague à l’âme, en augmentant le mal-être. On entend beaucoup d’ados dire qu’ils sont dépendants. Ils en ont souvent conscience, mais ils se rendent compte aussi que consulter ces contenus leur fait plaisir et qu’ils n’arrivent pas à s’en détacher. C’est encore un effet de l’algorithme qui est justement là pour pousser l’utilisateur, notamment le jeune utilisateur, a regarder contenu après contenu et à y revenir régulièrement « pour ne rien rater ». On compare parfois les réseaux sociaux à des dealers qui mettent dans leurs produits ce que les ados apprécient. Il faudrait que les responsables des réseaux prennent position pour que leurs utilisateurs soient plus libre de les utiliser et pas sous dictature de l’écran », souligne Samuel Comblez, qui s’inquiète aussi de l’annonce de Meta sur l’arrêt du contrôle des fake-news sur les plateformes du groupe. « On a l’impression de revenir en arrière, c’est une situation qui ne va pas dans un sens protecteur en mettant l’accent sur une liberté d’expression à tout va ».
Les efforts du gouvernement français, comme les annonces des plateformes, montrent qu’il y a des efforts. Mais ils devraient être plus massifs. « Ces industriels génèrent beaucoup d’argent et cela devrait leur servir à investir dans plus de protection. Sur le 3018, nous sommes trop sollicités par des jeunes qui sont confrontés à des situations inacceptables. Il faut aller plus vite car nous sommes face à des générations qui subissent de véritables attaques qui se révèlent parfois mortelles. L’espace numérique devrait être un espace de vie comme un autre, on ne devrait pas accepter de laisser des enfants en insécurité », conclut Samuel Comblez.
L’IA au cœur du Safer Internet Day
La 22ème édition du Safer Internet Day, la journée mondiale pour un Internet plus sûr, est organisée tout au long des mois de février et mars sur le thème « L’IA et nous, quel futur ensemble ?« . L’événement met en avant les défis de la citoyenneté numérique à l’ère de l’intelligence artificielle, en écho à la thématique 2025 du Conseil de l’Europe. Internet sans crainte, organisateur en France du Safer Internet Day, met à disposition des outils réalisés en partenariat avec le ministère de l’Éducation nationale, afin d’inviter les élèves, les enseignants et les familles à s’interroger sur la place de l’IA dans nos vies connectées : kits pédagogiques adaptés du primaire au lycée, guides pratiques, jeu téléchargeable… Initié en 2004, le Safer Internet Day est désormais déployé dans 200 pays.
Un livre pour les parents : Les réseaux sociaux et nos ados
Avec humour et autodérision, l’auteur se lance dans une étude sur les réseaux sociaux. Mêlant analyse et conseils pratiques, il explore leurs aspects négatifs et positifs au travers de la gestion du temps, l’estime de soi ou encore la toxicité en ligne.
Un livre illustré plein d’humour sur un sujet préoccupant, qui aidera les parents complètement déconnectés à mieux comprendre les mécanismes des réseaux sociaux, pour les aider à se reconnecter avec leurs ados. Et pour les parents eux-mêmes accros aux réseaux, un livre pour ouvrir le dialogue avec leurs ados, et porter ensemble un regard sur les pratiques de chacun.
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