C’est aujourd’hui la Journée Mondiale des Enseignants… mais où sont les profs ? Alors que le ministère de l’Education nationale désespère d’en recruter, on peut ces jours-ci en rencontrer quelques-uns, combattifs en diable… dans des livres et sur écran ! Et si on écoutait ce qu’ils ont à nous dire ?
A la rentrée dernière, près de 2 000 professeurs des écoles manquaient à l’appel… et plus de 4 000 postes n’avaient pas été pourvus aux concours du printemps. Il faut dire que les candidats ne se bousculaient pas : alors qu’ils étaient 60 000, il y a une vingtaine d’années, leur nombre a réduit de moitié l’année dernière… avant de tomber à 20 000 cette année ! Face à une telle pénurie, des candidats éliminés ont été repêchés d’urgence, et de nombreuses académies ont dû faire appel à des contractuels, parfois via de simples « job datings » organisés à la hâte… avant de lancer ces nouveaux appelés directement dans la fosse aux lions, autrement dit, sans formation ni expérience, dans des classes surchargées !
Enseignant, le « plus beau métier du monde » ?
C’est exactement ce type de dérives que décrit Audrey Jougla, enseignante de philo pendant cinq ans, dans son livre implacable, « De l’Or dans la tête ! Repenser l’éducation pour réparer l’école » (Ed.Double Ponctuation) : recruter au rabais des enseignants qui seront là faute de mieux et seront payés au « lance-pierre », ça participe à ce mécanisme de dévalorisation dont elle décrit précisément l’engrenage, fatal au prestige de ce beau métier. « Le plus beau du monde », pourtant, comme l’a rappelé son nouveau ministre, Pap N’Diaye, dans son discours de rentrée : en retrouvant des accents à la Jules Ferry, il espère sans doute ressusciter l’idéal incarné par son illustre prédécesseur, qui savait galvaniser ses « hussards noirs de la République », comme il les avait qualifiés dans un célèbre discours pour mieux les lancer à l’assaut des campagnes – qui seraient plutôt, aujourd’hui, des banlieues et des « ZEP », zones d’éducation prioritaire où il faudrait, comme autrefois dans les villages reculés, aller débusquer les jeunes cerveaux et les arracher à l’ignorance !
Encore aujourd’hui, pour être un bon prof, « il ne suffit pas d’aimer ce qu’on enseigne, ni d’aimer enseigner : il faut être animé d’une farouche volonté d’en découdre, et d’une ferveur de servir les élèves », rappelle Audrey Jougly.
Et si on reparlait de vocation ?
C’est un de ces enseignants passionnés, un de ces « hussards noirs » à l’ancienne, qui a marqué la réalisatrice Emilie Thérond : elle l’appelait Bubu, et lui avait consacré tout un documentaire. C’est encore à lui qu’elle a pensé en suivant, dans son nouveau film « Etre prof » (voir notre chronique du film sorti au cinéma le 5 octobre), les destins de trois enseignantes hors normes dans des pays lointains. « Je pensais : « Si Bubu a été capable de changer le destin de ses élèves alors qu’il enseignait dans les Cévennes, un enseignant qui pratique son métier dans un lieu où tout est plus inaccessible et plus compliqué doit sans doute donner encore davantage aux enfants. » J’ai voulu creuser cette notion de vocation et sa portée sur les écoliers dans le monde », explique-t-elle.
Des couleurs vives de l’Afrique à la blancheur de la taïga sibérienne, en passant par les plaines inondées du Bangladesh, on s’attache aux destins de Sandrine, Svetlana et Talisma, institutrices héroïques qui n’hésitent pas à aller chercher leurs élèves en traîneau ou en bateau, à leur apprendre à lire ou à compter sous la tente d’une école nomade, sous le toit fragile d’une école de brousse, sur le plancher instable d’une école bateau, à les encourager quand ils pleurent, à les arracher aux parents réticents, qui ont besoin de bras pour aider aux champs ou qui veulent marier les filles plutôt que les laisser préparer l’examen d’entrée au lycée. « La situation et les difficultés sont différentes selon les pays, résume la réalisatrice. Mais je reste profondément persuadée que la beauté du métier reste la même. On ne peut pas enseigner si l’on n’a pas la vocation. Sandrine, Taslima, Svetlana, et tant d’autres profs, ont vraiment de l’or en eux. »
Des profs en or
De l’or en eux… et des pépites à portée de mains, qu’ils continuent inlassablement à espérer trouver, parmi leurs élèves : « Nous sommes comme au fond d’une mine avec une lampe frontale : des chercheurs d’or », résume Audrey Jougla. Elle rappelle ainsi que cet idéal enseignant n’est pas mort, et ne demande qu’à ressusciter, chez nous aussi… à condition que l’institution sache lui donner des ailes. Tout son livre raconte au contraire comment elle les rogne depuis des années, à longueur de réformes contre-productives, et parvient à décourager les plus motivés. Comment les profs, incités à surnoter pour ne pas déclasser leur établissement, à admettre les pires comportements en classe pour ne pas « stigmatiser » les élèves ou se mettre à dos les parents, se retrouvent privés des moyens de les mener à l’excellence, celle qu’on recherchait autrefois… et qui est presque suspecte aujourd’hui ! L’urgence, c’est sans doute de redonner à cette profession en crise les moyens de mener à bien sa mission, et des raisons d’y croire !
Un autre prof venu d’ailleurs nous rappelle à son tour, dans un très beau livre, à quel point ce métier peut devenir un sacerdoce, quand on y croit de toutes ses forces : Jason, enseignant à Portland, sur la côte ouest des Etats-Unis, a été suivi pendant deux ans par le grand reporter Pierre de Vallombreuse, au sein d’une école peu banale, fondée en 2012 par quatre Afro-Américaines. Sous forme de photo-reportage, « Une classe américaine » (Les Arènes), nous fait assister à « la naissance d’un prof » auprès d’une vingtaine d’élèves de 8 à 10 ans, essentiellement noirs, latinos, métis. Ils ont cette chance : avoir croisé, sur leur chemin de vie, un enseignant qui se bat pour eux.
C’est aussi le cas de Jérémie Fontanieu, en France : dans son récent livre » L’école de la réconciliation, un professeur à Drancy » (éditions LLL) il explique sa méthode, qui conjugue une volonté acharnée et l’implication des parents, dans une démarche de « co-éducation ». Résultat : 100% de réussite au bac dans les classes de cet enseignant hors pair, depuis quatre ans, dans un lycée pourtant classé dans une zone défavorisée.
Mais combien sont-ils encore, ici ou ailleurs, à vouloir se battre avec tant d’acharnement pour leurs élèves… et combien seront-ils demain ?
Redonner aux enseignants l’envie…d’avoir envie ?
Au-delà des promesses d’augmentation (aucun prof ne devrait plus débuter sa carrière au-dessous de 2 000 euros par mois, et une revalorisation moyenne de 10 % de toute la grille salariale est annoncée), le nouveau ministre a souligné sa volonté de replacer les enseignants aux manettes du système, sur ce piédestal qui leur assurait une autorité morale… et donc une plus grande efficacité : « Il est clair que la revalorisation du métier ne se résume pas à une simple question d’argent », a-t-il déclaré, tout en annonçant des discussions, à compter d’octobre, avec les organisations syndicales.
Et il y a du boulot : « L’Éducation nationale en France, est une machine à broyer. Elle tue à petit feu les enfants qui gâchent leur potentiel et passent trop souvent à côté de leurs études, les familles qui se sentent mises de côté et voient les années passer sans pouvoir agir, et enfin les professeurs », accuse Jérémie Fontanieu, qui rappelle dans son livre que notre système scolaire est aussi, selon les études PISA, l’un des plus inégalitaires d’Europe. « Comment s’étonner que la profession attire de moins en moins ? » se demande-t-il. Le ministre l’admet : « Il y a une crise que je qualifierais de reconnaissance et de sens du métier d’enseignant. L’une de mes tâches c’est justement de contribuer à réhabiliter le métier au-delà des aspects strictement financiers », a-t-il assuré, inaugurant un nouveau lycée, à Toulouse, le jour de la rentrée.
Va-t-il réussir à redonner à ses troupes l’ envie… d’avoir envie ? En tout cas, Jérémie, Jason, Svetlana, Talisma, Sandrine, Audrey, viennent tous, très opportunément, rappeler cette évidence : la mission d’enseigner est essentielle à l’avenir d’un pays.
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