Avec Je suis née au son du violon, à paraître le 12 janvier aux éditions Infimes, la journaliste Bénédicte Flye Sainte Marie signe une jolie biographie romancée qui remet en lumière Camille Urso, musicienne prodige et féministe du 19ème siècle, dont l’incroyable parcours a longtemps été invisibilisé.
Après Le pouvoir de l’apparence. Le physique, accélérateur de réussite ? , PMA, le grand débat et Les 7 péchés capitaux des réseaux sociaux, tous publiés chez Michalon, la journaliste Bénédicte Flye Sainte Marie – qui collabore notamment à Mafamillezen – change de registre avec une biographie romancée consacrée à la violoniste Camille Urso. Née en 1840, cette enfant prodige a réussi à s’imposer dans un univers jusqu’alors quasi exclusivement masculin, surmontant les nombreux obstacles liés à son genre. Devenue une icône célébrée à travers le monde, cette grande artiste qui mena durant cinquante ans une carrière ponctuée d’honneurs et de succès, était aussi une féministe qui lutta contre les discriminations envers les femmes dans l’univers de la musique. Comme beaucoup d’artistes, autrices, ou scientifiques la postérité n’a pas retenu grande chose d’elle. La faute à une histoire musicale écrite par et souvent pour les hommes. Avec Je suis née au son du violon, Bénédicte Flye Sainte Marie s’inscrit dans l’actuel (et salvateur) mouvement de remise en lumière de notre matrimoine. Son texte, aussi bien écrit que documenté, retrace un parcours hors du commun, proposant par là même une réflexion sur la place des femmes, hier mais aussi aujourd’hui. Rencontre avec son auteure !
Qu’est-ce qui vous a amenée à vous pencher sur le destin de la violoniste Camille Urso ?
C’est le fruit du hasard et de mes lectures. J’ai fait connaissance avec elle en lisant Gabriële, d’Anne et Claire Berest. Dans cette biographie de leur arrière-grand-mère, épouse du peintre Francis Picabia, elles brossent le portrait de plusieurs personnages dont Camille Urso. Je ne la connaissais pas et ma curiosité a été aiguisée. J’ai réalisé qu’outre le fait qu’elle avait été une prodige et une des rares artistes à s’être exportée aux Etats-Unis, elle portait aussi un engagement en faveur des femmes musiciennes. Son destin est symbolique de son siècle mais aussi des combats intemporels des femmes.
Avec ce livre, vous rendez hommage à une musicienne d’exception qui arriva à s’imposer dans un univers jusqu’alors quasi exclusivement masculin. Quels obstacles a-t-elle dû surmonter?
Il y en a eu beaucoup malheureusement ! Et ils sont essentiellement liés à son genre. D’abord, elle a dû obtenir de ses parents l’autorisation de jouer du violon, ce qui n’était pas acquis parce qu’elle était très jeune et surtout parce qu’elle était une fille. Au cœur de ce 19-ème siècle, qui prônait le retour des femmes à la maison, on ne concevait pas que ces dernières puissent pratiquer cet instrument. On le paraît d’accents virils : le violon n’était pas censé se marier à la psyché féminine. Le deuxième obstacle a été l’entrée au Conservatoire de Paris. Si le règlement n’interdisait pas, sur le papier, l’admission des filles, elles étaient en réalité quasi absentes en vertu d’une règle tacite dans les sections cordes (on en trouvait beaucoup en revanche dans les classes de piano car il était jugé beaucoup plus convenable et décent pour elles). Ensuite, elle a dû combattre la manière dont on a genré sa musique. Au lieu de la considérer comme une artiste à part entière, beaucoup d’articles de l’époque pointaient ses qualités féminines, sa douceur, sa grâce… Enfin, après avoir franchi tous ses obstacles, elle s’est engagée pour les autres.
En effet, vous mettez en lumière son combat contre les discriminations envers les femmes dans la musique durant lequel elle plaida notamment pour l’égalité salariale. En somme, c’était aussi une militante féministe !
Oui ! Ce combat, Camille Urso ne l’a pas mené pour elle puisqu’elle était soliste et embauchée un peu partout dans le monde. C’était pour les jeunes filles à qui on avait enfin ouvert les portes des écoles et conservatoires mais qui, une fois formées, n’étaient pas recrutées par les directeurs d’orchestres sous prétexte qu’elles étaient incapables de supporter leur fonctionnement, d’endurer la fatigue des répétitions ou parce qu’ils craignaient qu’elles puissent être de potentiels éléments perturbateurs. Elle qui était si discrète et ne s’exprimait qu’à travers sa musique, s’est fait violence. A partir des années 1890, elle a commencé à prendre la parole sur ces questions dans la presse. Elle a aussi prononcé un discours percutant en 1893 durant le World’s Congress of Representative Women qui se tenait à Chicago dans le cadre de l’Exposition Universelle. Je pense qu’à cette époque, elle a compris que malgré les bastions conquis, les musiciennes étaient dans une sorte d’impasse. D’ailleurs, quelques années plus tard, en 1904, le ministre de l’Instruction publique Joseph Chaumié prit la décision de limiter à 4, le nombre de filles dans les classes d’instruments à archets parce qu’elles raflaient quasiment tous les prix. C’est une des manifestations du fameux backslash, ce retour de bâton si souvent observé dans l’histoire de la cause féministe.
Alors qu’elle est une idole dans sa jeunesse, son prestige s’étiole au fur et mesure qu’elle vieillit et elle est aujourd’hui inconnue du grand public. Que s’est-il passé ?
De son vivant, elle a subi l’âgisme, qui frappe toutes les artistes, aujourd’hui encore. La jeunesse, la fraîcheur, la nouveauté attirent mais on est beaucoup moins tendre avec ceux, et surtout celles, qui vieillissent. Par ailleurs, Camille Urso a opéré un glissement de registre vers la fin de sa carrière qui n’a pas été du goût de tout le monde. Elle a souhaité mettre la musique classique à la portée de tout le monde, alors que les spectacles étaient jusqu’alors produits par et pour les élites. Véritable pionnière de la société du spectacle actuelle, elle a intégré des troupes de vaudeville dont on pourrait comparer le concept à celui d’une émission télévisée comme « Incroyable talent ». Après sa mort, elle a finalement été doucement gommée de la mémoire collective par les historiens de la musique comme tant d’autres femmes avant et après elle…
On pourrait penser qu’en 2022 son combat est aujourd’hui acquis, mais écrivez-vous, aujourd’hui encore, il n’en est rien
Evidemment, les choses ont évolué mais à beaucoup d’égards, il reste compliqué d’être une femme dans l’univers de la musique classique. On y observe le même effet d’entonnoir que dans des domaines comme le cinéma, où les filles sont aussi nombreuses que les garçons dans les écoles de cinéma mais où on ne trouve ensuite que 37 % de femmes réalisatrices sur les premiers films, 25% sur le second, 3 % sur le 3ème etc… Les femmes peuvent étudier la musique et le font dans les mêmes proportions que les hommes mais plus elles avancent dans leur carrière, plus la mécanique s’enraye pour elles, sachant qu’ un peu plus d’un quart (28 %) seulement des solistes programmés par les orchestres français sont des femmes. Même à un niveau global, les chiffres sont loin d’être paritaires selon l’Association française des orchestres. Ces derniers recensent environ 38% de femmes pour 62% d’hommes. Et si ce n’est plus le cas pour le violon, certains instruments restent très genrés, par exemple la harpe qui sera beaucoup plus facilement dévolue aux femmes tandis que les instruments à vent demeurent très majoritairement l’apanage des hommes.
Je suis née au son du violon, la vie de Camille Urso, première musicienne féministe, par Bénédicte Flye Sainte Marie, aux éditions Infimes le 12 janvier 2023, 14 €.
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