Une journée nationale de lutte contre le harcèlement à l’école le 7 novembre, des peines pouvant aller jusqu’à 20 ans de prison, des campagnes et spots gouvernementaux de prévention réguliers, une médiatisation à outrance du sujet…Malgré toutes les opérations de sensibilisation qui existent pour les prévenir, pourquoi n’arrive-t-on pas à éradiquer les violences entre élèves du primaire au lycée et au-delà ? Mais surtout, comment faire pour les faire baisser de manière significative et durable ? On explore certaines pistes.
Le harcèlement scolaire a deux facettes : la violence et l’isolement. C’est une violence répétée – verbale, physique et/ou psychologique, d’un ou de plusieurs élèves à l’encontre d’une victime. Elle a comme conséquence l’isolement de la personne harcelée, dans l’incapacité de se défendre. En France, plus d’un million d’enfants y sont confrontés chaque année (1 enfant sur 10), dès le primaire. Souvent, elle commence à se manifester après les vacances de la Toussaint, quand chacun a pris ses marques. Prudence donc à vous, parents, pendant cette période. Soyez attentifs aux comportements de vos enfants, notamment s’ils changent.
Le harcèlement scolaire, une spirale de la violence continue
Hervé Duparc est membre du groupe de travail “harcèlement par les pairs” pour le Val-de-Marne (94). Ce psychologue clinicien préfère que l’on use de ce terme pour parler de harcèlement scolaire car celui-ci s’exerce en permanence, au-delà de l’école.
Il se matérialise de plusieurs manières : physique (brimades, intimidation, racket) entre garçons, par une violence à caractère sexiste quand un garçon s’en prend à une fille, par l’exclusion ou la mise à l’écart et les rumeurs entre filles. « Le bannissement d’un groupe WhatsApp par ses administrateurs est vécu comme une mise à mort par ceux qui en font les frais et par les autres camarades. Ce phénomène prend de l’ampleur et est particulièrement inquiétant chez les jeunes filles de 12 à 17 ans » précise le psychologue. Or, rien ne l’interdit.
Le bannissement, mais aussi les raids numériques de commentaires et de like rageux sur les réseaux sociaux font des ravages. Ils s’opèrent via des commanditaires mal intentionnés, qui demandent à “leur meute” de se lâcher sur les camarades désignés comme cibles. Ces derniers reçoivent ce déferlement de haine gratuite dans leurs chambres d’ados, alors qu’ils surfent sur leur portable, juste avant de dormir. Selon une enquête IFOP commandée en 2023 par l’association Marion la main tendue, 16 % de collégiens et de lycéens ont vécu plusieurs fois du harcèlement par semaine durant au moins un mois, 19 % si l’on écarte le critère de la durée.
Ces chiffres sont rappelés par Constance Vilanova dans son essai “Vivre pour les caméras”, dans lequel elle pointe également la responsabilité de la télé-réalité : « Ces émissions normalisent auprès des jeunes l’idée délétère que “les forts” s’en sortiront mieux que “les faibles”. La téléréalité a ainsi banalisé et valorisé pendant 15 ans les mécaniques du harcèlement que l’on retrouve aujourd’hui sur les réseaux sociaux ». Pour la journaliste, les parents n’ont pas été assez alertés des dangers de ce genre de programmes, sur lequel ils ont du mal à exercer un contrôle parental.
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Comment savoir si mon enfant est harcelé à l’école ?
Une baisse des résultats scolaires, une tristesse soudaine, une instabilité émotionnelle doivent alerter. Pour Florence Millot, psychopédagogue à Paris, il faut cependant faire la distinction entre une situation d’agressivité ponctuelle – où l’enfant est capable de répondre aux attaques et faire en sorte que la relation à l’autre enfant agressif reste équilibrée – et le harcèlement réel, où « c’est une notion d’emprise d’un enfant ou d’un groupe d’enfants qui va s’exercer tous les jours, à l’égard de leur victime ».
C’est quand on est face à l’apparition d’un échec scolaire progressif et durable, de traumatismes profond (angoisse, dépression, troubles du sommeil ou de l’alimentation) et de divers troubles de santé (maux de tête, de ventre…) dont l’enfant se plaint pour ne pas aller à l’école, qu’il va falloir tenter de faire parler son enfant et tirer la sonnette d’alarme à l’école. Un quart des adolescents qui sont dans ces situations provoquées par le harcèlement ont déjà pensé au suicide, et deux suicides par mois y seraient attribuables.
Si on arrive à identifier que notre enfant est ciblé, « en cas d’insultes ou de moquerie, le mieux est de ne pas répondre, de ne pas essayer de se venger. Si cela se passe en ligne, on demande aux réseaux sociaux de faire disparaître les contenus litigieux. Pour ce faire, on peut passer par l’association e-enfance via le 3018 » conseille Hervé Duparc.
La tyrannie de la norme sociale
Dans les cours de récré, et sur les portables, c’est la tyrannie de la conformité au groupe qui s’exerce, la même que l’on retrouve dans l’ensemble de la société. On va donc être attaqué et discriminé en raison de son apparence physique, de son orientation sexuelle (réelle ou supposée), de son identité de genre, de son handicap, de son appartenance à un groupe social… C’est la pression du “tout le monde doit penser pareil”.
Cette pression est telle que les victimes de harcèlement scolaire n’osent pas parler : elles sont réduites au silence par le poids des menaces, ou en état de sidération. Elles ont aussi peur que les adultes ne les croient pas, ou pire, ne réagissent pas. De leur côté, les témoins n’osent pas parler par peur de devenir victimes à leur tour. La violence est banalisée par l’effet de groupe.
La méthode Pika, pour lutter efficacement contre le harcèlement à l’école
Pour briser ces cercles infernaux, Hervé Duparc, qui exerce au sein de la Maison de l’Adolescent (MDA) et du Point Écoute dans le Val-de-Marne, invite les parents d’un enfant victime de harcèlement scolaire qui ne savent pas vers qui se tourner, à aller vers ces dispositifs départementaux pour se faire aider. Ils peuvent servir de courroie de transmission avec les écoles.
Les harceleurs au coeur du dispositif
En effet, les MDA interviennent également dans les établissements scolaires pour les aider à mettre en place la “méthode de préoccupation partagée”, ou méthode Pikas, du nom de son inventeur estonien. Elle a fait ses preuves dans les pays scandinaves depuis les années 70. Ce n’est qu’en 2011 qu’elle débarque en France. Depuis, elle semble porter ses fruits. La méthode Pikas contre le harcèlement est fortement recommandée par les éducateurs car elle ne cible pas les victimes, qu’elle n’est pas coercitive et surtout qu’elle fonctionne ! Hervé Duparc explique à MAFAMILLEZEN en quoi elle consiste : « C’est une méthode de traitement pour aider les auteurs à sortir de la situation de harcèlement qu’ils font subir aux victimes. Elle se révèle efficace 8 fois sur 10 ».
Un dispositif pour stopper le harcèlement qui doit rester secrète pour bien fonctionner
Dès qu’une situation de harcèlement scolaire est repérée, la direction d’établissement reçoit en rendez-vous individuel le harceleur, en binôme avec un éducateur ou un psychologue. Sans l’obliger à se dénoncer, on lui demande de proposer des idées pour résoudre la situation de harcèlement qu’il observe. La plupart du temps, les harceleurs ne disent pas que ce sont eux les auteurs. Mais ils désignent les cibles et on part de leur proposition à eux de changement pour que ces cibles aillent mieux. On répète ainsi l’opération à intervalles réguliers jusqu’à ce que le problème soit résolu.
Le dispositif Pika se passe sans que les parents n’aient de rôle à jouer, sans même qu’ils ne soient prévenus parfois, pour ne pas perturber l’exercice. C’est une méthode très économe en temps et en énergie, qui ne coûte rien à mettre en place. « Il faut que les parents en parlent aux établissements s’ils pensent que ceux-ci ne sont pas au courant et qu’il y a des problèmes de harcèlement. Mais surtout pas aux enfants ! » s’amuse Hervé Duparc. Pour que la méthode continue de fonctionner, il faut qu’elle reste secrète.
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La parole, plus forte que le bâton
La méthode PIKAS pour lutter contre le harcèlement scolaire, intégrée au dispositif PHARE de l’éducation nationale, est bien plus efficace que la plupart des méthodes de réaffirmation de l’autorité telles que le couvre-feu pour les moins de 13 ans, qui semble difficilement applicable, ou le fait que la loi punit le simple fait de liker des actions de harcèlement en ligne, qui n’est pas appliquée.
La punition ne marche pas bien, car dans la majorité des cas, elle est perçue comme injuste autant par les auteurs que par les cibles et leur entourage. Le plus important, dans le harcèlement, c’est de parler. « Un jour, j’ai été témoin de harcèlement et j’ai décidé d’aller voir ma camarade et de la réconforter. Ensuite, je suis allé voir le CPE de mon ancien collège qui a tout de suite réglé la situation. Les harceleurs ont été collés, voire même certains exclus des cours. Je trouve que cette décision est trop injuste car ils méritaient pire » témoigne Mathys, élève de 14 ans qui passe en seconde cette année.
Les Boîtes aux lettres Papillons, les max en mots
Ainsi, pour Mathys, la punition n’est pas assez forte, mais la parole, elle, l’est : « Si vous êtes témoins ou encore cible de harcèlement, parlez-en ! » nous exhorte-t-il. L’association les papillons ne dit pas autre chose : “Ce que tu ne peux pas dire, écris-le !” est son slogan. Grâce à l’installation de Boîtes aux lettres Papillons® dans de nombreux établissements, elle a réussi à porter secours à un nombre d’enfants toujours plus important chaque année, par la libération de la parole sur le harcèlement par les pairs, mais aussi au-delà, au sujet des violences intrafamiliales.
Il faut tout faire pour favoriser le dialogue. Ce n’est pas facile, car nos enfants tendent à moins se confier et ne veulent plus raconter ce qui se passe à l’école à mesure qu’ils grandissent. Il faut pouvoir aussi concevoir que c’est notre enfant qui harcèle, et là aussi, en parler, dans le calme et le respect. C’est en favorisant la confiance adulte/élève que l’on peut faire émerger le dialogue.
Ressources Internet et numéros verts :
- Pour les enfants harcelés à l’école : le 3020
- Contre le cyberharcèlement : le 3018 (e-enfance) ou le 0800 200 000 (NET ÉCOUTE)
- Pour signaler un contenu illicite sur Internet : PHAROS
- Pour les enfants et les adolescents confrontés à une situation de risque et de danger : le 119 Allô enfance
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