Élever un enfant hypersensible peut être difficile, car il est souvent submergé d’émotions difficiles à contrôler. Souvent incompris, voire moqués ou brimés à l’école, les petits hypersensibles ont besoin que vous les aidiez à grandir en sécurité et s’épanouir, pour faire de leur « don » une force ! Voici comment aider son enfant à gérer son hypersensibilité et sa relation au monde qui l’entoure.
La maman de Jules, 10 ans, a dû intervenir auprès de la directrice de son école, pour interrompre un début de harcèlement. Le défaut de son fils, celui qui faisait ricaner ses copains : il a les pleurs faciles. « Dès que les autres s’en sont aperçus, le jeu a été de le faire fondre en larmes », témoigne sa mère. Savoir que Jules était suivi par un psy, ayant diagnostiqué à la fois son haut potentiel émotionnel et intellectuel, a calmé ses congénères : « L’instit leur a fait préparer un exposé en classe sur les hauts potentiels… ça les a impressionnés. Et au lieu de l’embêter, maintenant, ils lui demandent de l’aide quand ils ne comprennent pas bien quelque chose ! » Une petite astuce qui ne marche pas forcément avec les ados, plus difficiles à épater : « Au collège, ma fille est vue comme « bizarre », on la laisse tranquille mais elle n’a pas d’amies, elle reste dans son coin », regrette Maryline, la maman de Sofia, 13 ans.
« Le grand drame de l’hypersensibilité , c’est l’adaptation à une société qui n’est pas du tout sensible », regrette Audrey Akoun, coach spécialisée et co-auteur du livre « Vive les zatypiques », pour aider les parents à accompagner leur enfant hypersensible. « Dans une société qui valorise les personnalités fortes, “courageuses”, dans la maîtrise de leurs émotions, ce fonctionnement peut être jugé comme “anormal” et devenir un handicap au quotidien pour eux ! Plus tôt on les aide à comprendre et apprivoiser cette hypersensibilité, plus ils pourront en faire un atout. » Mais pour les aider, encore faut-il les reconnaître !
Les enfants hypersensibles sont-ils vraiment différents ?
« Tous les enfants sont par définition hypersensibles en raison de leur manque de maturité cérébrale : leur cerveau est en construction et ils gèrent moins bien que nous leurs émotions », assure Cécile Giret, auteur de « Hypersensible, et alors ? » De son côté, la philosophe Mathilde Chevalier-Pruvo souligne : « Jusqu’à six ans, l’enfant peut être considéré comme un être presque exclusivement sensible, sensoriel et affectif. Se reliant au-dehors, aux autres et à lui-même avant tout par son corps, ses perceptions et ses émotions. »
Certains seraient pourtant plus sensibles que d’autres : un spécialiste américain de psychiatrie infantile, Thomas Boyce, a développé, après des centaines d’heures d’observation dans des classes de maternelle, le concept d’« enfant orchidée » : ceux-ci seraient dotés d’une grande sensibilité sensorielle et auraient tendance à éviter les situations inconnues ou difficiles. « L’hypersensibilité n’est pas dans les classifications psychiatriques internationales, mais il y a aujourd’hui un certain consensus pour qualifier ainsi les enfants avec une vie intérieure très riche, exprimant avec intensité les différentes émotions, positives ou négatives », résume le pédopsychiatre Stéphane Clerget. « Ils sont souvent empathiques, touchés par les ressentis de leur entourage, et leur hyperémotivité s’associe généralement à une hypersensibilité physique et sensorielle : ils vont facilement faire des réactions cutanées, des allergies, ils seront plus sensibles au bruit, au toucher, aux odeurs… »
Malheureusement, le premier jugement des adultes sur cette différence est plutôt culpabilisant pour les parents de petits hypersensibles : « Mal élevé, colérique, il fait des crises, des caprices, il fait son intéressant, il faut le calmer… J’en ai entendu de toutes les couleurs, de la part des profs comme des autres parents », raconte la maman de Jules.
Hypersensible… ou mal élevé ?
Rien de très étonnant, selon Catherine Viès-Duffau, spécialiste de l’hypersensibilité et directrice d’une école pour enfants atypiques : « un enfant hyperémotif est souvent confondu avec un enfant capricieux ou « incapable de se gérer ». Mais à la différence des enfants qu’on dit « mal élevés » parce qu’on ne leur a pas donné de limites, et qu’ils ne savent pas gérer leurs frustrations, les hypersensibles, eux, ne savent pas gérer leurs émotions… et peuvent l’apprendre. C’est certes un long apprentissage, car ils les ressentent de façon plus intense, et avec un seuil d’apparition plus bas. »
Si vous mettez un tel enfant devant un film de Walt Disney que des générations d’enfants ont vu sans traumatisme apparent, vous risquez de le retrouver inconsolable parce que Dumbo est en butte aux moqueries, ou que la maman de Bambi est morte ! « Devant un film, un spectacle, un enfant hyperémotif ressentira des émotions très fortes en réaction à des scènes qui sembleront « basiques » pour d’autres » explique Catherine Viès-Duffau. C’est le même qui souvent, ne supportera pas un pull qui gratte, une étiquette sur sa chemise, un col roulé… et fera des scènes à n’en plus finir au moment de s’habiller : « Il s’agit d’hyperesthésie, qui se caractérise par une exacerbation de tous les sens ou d’un sens en particulier, comme le toucher : à distinguer de l’hyperémotivité… mais qui l’accompagne souvent ».
Hypersensibilité émotionnelle : des enfants en souffrance
Selon le docteur Stéphane Clerget, les plus fragiles de ces « hypersensibles » sont aussi les plus introvertis : « Ceux qui sont en retrait, qui n’expriment pas ou tentent de masquer leur sensibilité, vont somatiser, et ce sont souvent ceux qui vont faire plus souvent des réactions cutanées, tandis que les extravertis, démonstratifs, volubiles, qui sursautent pleurent ou rient facilement, nécessitent moins de suivi. » Catherine Viès-Duffaut l’a également remarqué : « Certains vont construire des barrières pour se protéger de ces émotions trop envahissantes, et les cacher derrière la colère : d’où ces enfants hypersensibles qui semblent faire des « crises » tout le temps, se mettre en colère pour un rien… Quand on creuse un peu et qu’on apprend à les observer, on peut se rendre compte que c’est un mécanisme qu’ils se sont créés pour se protéger et pour réagir aux « agressions » qu’ils vivent , car ils ne savent pas comment identifier et gérer tout ce qui leur arrive ».
Ce sont souvent des enfants qui ressentent beaucoup de tristesse, due à des ressentis d’injustice ou des incompréhensions… mais qu’ils ne veulent pas montrer parce que « ça ne se fait pas », parce que « ça fait faible ou petit bébé » ,etc….Ils finissent ainsi par se créer une carapace et à ne plus savoir identifier ce qu’il y a vraiment à l’intérieur d’eux… Ce sont donc avant tout des enfants en souffrance, tant qu’on ne leur apprend pas à gérer leurs ressentis. Mais comment le leur enseigner … surtout quand on est soi-même à fleur de peau ?
Une prédisposition génétique ?
« Il faut leur apprendre à bien nommer et différencier leurs émotions, pour mieux les maîtriser », recommande le pédopsychiatre Stéphane Clerget. « Et il faut bien leur expliquer que les autres enfants ne peuvent pas forcément comprendre cette façon de vivre les émotions ! On peut aussi chercher les sources : est-ce que l’enfant prend modèle sur un parent, par exemple ? » C’est souvent le cas : « L’hypersensibilité a effectivement une part de génétique (plus de 50%) et il n’est pas rare du tout de trouver des familles d’hypersensibles », constate Catherine Viès-Duffau.
Ce n’est pas démontré, tempère le docteur Stéphane Clerget, mais « on peut faire l’hypothèse qu’il y a un support génétique car cela a d’abord été un avantage, dans le développement de l’être humain : l’hypersensibilité va de pair avec une grande vigilance, un sens de l’observation qui pouvait vous sauver la vie aux temps préhistoriques… or, ce qui est utile à l’espèce se transmet dans les gênes ! Encore aujourd’hui, par exemple, les « bébés aux besoins intenses », comme on dit aux Etats-Unis , ceux qui pleurent beaucoup, veulent toujours être dans les bras de leurs parents, dorment très légèrement, réagissent au moindre changement… sont, par conséquence, plus protégés que les autres ! »
Mais la générique n’explique pas tout : « L’exemple qu’on donne, les sensibilités ou blessures émotionnelles dont on est porteur, peuvent impacter nos enfants. Il est donc essentiel de ne pas négliger sa propre éducation émotionnelle, son propre développement personnel », conseille Michel Claeys Bouuaert, auteur de plusieurs livres sur le sujet. Thomas Boyce précise d’ailleurs que ses « enfants orchidée » deviendront, ou non, des adultes hypersensibles, en fonction de leur éducation, des situations qu’ils vivront.
Des émotions exacerbées suite à un vécu difficile
« Chacun des événements que nous traversons, associé à notre héritage génétique, serait le terreau individuel de notre rapport aux émotions », résume la psychoclinicienne Johanna Rozembum. « Notre niveau de sensibilité et notre façon de l’exprimer est à comprendre au regard de notre famille, et des situations auxquelles nous sommes confrontés. »
Les psys remarquent aussi que beaucoup d’hypersensibles ont le point commun d’avoir vécu des périodes difficiles quand ils étaient petits : « Il y a souvent eu une période de fragilité dans leur famille : chômage, séparation, deuil, ou éducation blessante. Ils ont ressenti cette fragilité et cela les a incités à développer de très grandes qualités de compréhension, d’observation des autres, d’empathie, afin de pouvoir « deviner » les réactions de l’entourage », explique la psychothérapeute Marie-Jeanne Trouchaud . « Tous les psys connaissent ce phénomène, quand le bébé ressent que sa mère est fragile, alors ce n’est plus maman qui s’occupe de bébé, mais bébé qui s’occupe de maman ! »
Eviter d’impliquer l’enfant dans ses problèmes familiaux
D’où l’importance d’un contexte stable et rassurant, qui va aider ces enfants à développer un autre versant de leur sensibilité : « Ils peuvent être merveilleusement intuitifs, créatifs : si on se tourne vers cet aspect positif, alors l’enfant peut se réjouir d’être hypersensible ! » assure Marie-Jeanne Trouchaud. Pour cela, il faut d’abord veiller à ne pas trop impliquer l’enfant dans d’éventuels problèmes familiaux et querelles d’adultes : « Il ne s’agit pas de leur cacher la vérité, précise le docteur Clerget, mais de ne pas trop les stresser avec des confidences personnelles qui ne sont pas de leur âge ! Ce n’est pas si évident, car comme ils sont très empathiques, ils posent beaucoup de questions : comment on va, comment on vit… On a donc tendance à leur communiquer nos états d’âme alors qu’il faut au contraire les mettre à l’abri de ceux ci, se poser comme parent qui maîtrise la situation et n’a pas besoin de se confier à son enfant ! »
Le pédopsychiatre conseille aussi une batterie de mesures quotidiennes aussi simples qu’efficaces : « Eviter les situations qui font flamber l’hypersensibilité : ne pas manquer de sommeil, avoir un rythme de vie régulier, ne pas en rajouter dans les cris, le débordement émotionnel, ne pas trop les laisser seuls devant les écrans, surveiller les contenus regardés ». Il recommande aussi de veiller à un versant auquel on ne pense pas toujours : le régime alimentaire, qui doit être régulier, sain et sans excès de sucre : « Des études assez récentes ont démontré, aux Etats-Unis, que les aliments ultra-transformés et très sucrés favorisent l’hyperactivité. En transformant l’alimentation des enfants suivis, on a pu diminuer leurs traitements. Or, on commence à avoir des observations qui montrent que les excès de sucres rapides favoriseraient de la même façon l’hypersensibilité. »
S’accepter pour se développer, et faire face aux frustrations
« Il faut se garder de culpabiliser l’enfant qui exprime ses émotions », ajoute le docteur Clerget, » mais l’aider à les accepter sans le ridiculiser, à distinguer de ce qui est important de ce qui l’est moins… car tout l’émeut de la même façon. On peut l’encourager à essayer de nouvelles activités, à aller à l’encontre des autres… mais sans le brusquer. L’idée, c’est que ses émotions ne parasitent pas le développement intellectuel et cognitif, ou le lien social, et donc que son hypersensibilité ne paralyse pas ses apprentissages : voilà l’essentiel. »
Pour les aider à lâcher prise, Catherine Viès Duffaut conseille de les faire réfléchir aux situations difficiles qu’ils ont vécues lorsqu’ils ressentent des émotions négatives : « On peut leur poser des questions telles que : Est-ce que c’est « grave », réellement ? Quelles sont les conséquences pour toi ? Pour les autres ? Leur faire relativiser leur vécu, élargir leur champ de vision, puis demander : « Quel est ton combat ? Est-ce que « ce que tu viens de vivre » peut être ton combat ? En général les enfants se sentent plus légers quand on fait ce tri là ensemble ! » Ils pourront alors envisager d’exploiter les atouts qu’apporte leur sensibilité.
Elle propose dans son livre « Je suis hyper sensible, et alors ?: L'(hyper)sensibilité expliquée aux enfants « , des exercices de méditation de pleine conscience, et des « cartes des ressentis », qui peuvent servir à cette indispensable « éducation émotionnelle » dont Michel Claeys Bouuaert donne les clés dans les fiches de son manuel, à l’intention notamment des enseignants. « Elle permet d’identifier les bonnes manières d’exprimer ses émotions, qui ne sont pas en soi des faiblesses », explique-t-il. « Les accueillir et les reconnaître comme une réalité vécue, une expérience qui par définition est dans l’instant présent, et donc potentiellement passagère, représente une première étape utile. Revenir à soi, accueillir, ressentir dans le corps, respirer, permet de se recentrer et de prendre un peu de recul.. On a intérêt à ne pas trop « penser » ni analyser, mais au contraire à être dans l’acceptation d’un « ressenti » dans le corps. » Il conseille donc de demander aux enfants : » Où exactement ressens-tu cela, dans ton corps ? » Et en réponse, « évitez l’excès de parole, les sermons, la culpabilisation, la stigmatisation, l’impatience, la punition dévalorisante… Favorisez le dialogue, le questionnement, l’invitation à identifier des solutions, l’encouragement, l’appréciation, la valorisation. »
Apprendre à vivre avec son hypersensibilté
Les enfants apprendront ainsi à tirer parti de tous les avantages de cette sensibilité exacerbée, à l’exploiter dans des activités créatives dans lesquelles ils excellent. Un apprentissage jamais répressif, parce que le but n’est pas de mettre sous cloche la sensibilité de nos enfants, mais d’apprendre à l’intégrer pour ce qu’elle est : une qualité indispensable à la construction de l’être humain, comme le souligne la philosophe Mathilde Chevalier-Pruvo : « Aimer son enfant ce n’est pas lui transmettre de la solidité et de la force de l’extérieur. C’est lui permettre de ressentir de mieux en mieux, sensiblement, la sienne de l’intérieur, avant tout par son corps ! Être hautement sensible, vivre par et dans son corps, n’est pas un choix ou un luxe dans les premières années de vie mais une nécessité vitale, un moteur indispensable à la construction de soi et de tous les apprentissages. »
Enfant hypersensible : trois étapes à conseiller aux parents
Pour guider votre enfant, appliquez une méthode en trois étapes, inspirée notamment par les conseils de la psy Catherine Viès-Duffaut dans son livre destiné aux enfants, « Je suis hypersensible, et alors ? »
1. Arrête-toi et accepte !
Il faut demander à l’enfant de prendre le temps de faire une pause pour accepter ce qu’il vit. Qu’il lâche un instant les écrans, qu’il ne se disperse plus, n’essaie pas à la fois de jouer à un jeu et suivre une conversation, mais qu’il apprenne à se recentrer pour mieux identifier ce qu’il ressent à l’instant présent. Après l’école, notamment, instaurez toujours un temps calme, une activité de « recentrage », sport, art, ou même méditation de pleine conscience : des petits jeux et exercices permettent de la mettre à portée des enfants… A pratiquer tous les jours !
2. Fais-toi expert en décryptage…
Après l’arrêt, l’action : apprendre à reconnaître et décrypter les émotions qui nous traversent, c’est un exercice indispensable mais difficile, même pour les adultes ! Pour s’y exercer de manière ludique, Catherine Viès-Duffaut propose un jeu de cartes très simple, « Les cartes des émotions » (jeu à télécharger dans son livre). Vous trouverez des jeux de même type, souvent inspirés par la méthode Montessori, chez plusieurs éditeurs
3. Identifie tes besoins
Non, ce n’est pas si simple : au-delà des besoins essentiels (boire, manger, dormir, avoir droit éducation)… les enfants ont aussi besoin d’être entendus, guidés, encouragés, mais les adultes ne savent pas toujours s’y prendre, d’où des malentendus qui peuvent provoquer frustrations, blessures, crises et colères. Savoir reconnaître et identifier clairement ses besoins, c’est pouvoir demander qu’on les respecte : les enfants peuvent, par exemple, dessiner ou raconter une situation dans laquelle ils ont eu l’impression que leurs besoins n’étaient pas respectés, et on en parle ensuite.
A lire pour aller plus loin :
L’atelier des émotions: 35 activités créatives pour aider mon enfant à exprimer ce qu’il ressent, par Mathilde Chevalier-Pruvo, chez Eyrolles, septembre 2019. Commander
Vive les atypiques, par Audrey Akoun et Isabelle Pailleau, chez Pocket, septembre 2019. Commander
Je suis hyper sensible, et alors ?: L'(hyper)sensibilité expliquée aux enfants, par Catherine Viès-Duffaut, chez De Boeck, juin 2021. Commander
Comment faire de ton hypersensibilité une force, par le Dr Stéphane Clerget, aux Editions Limonade, juin 2017. Commander
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