Anne-Marie Gaignard, pédagogue et formatrice engagée dans la lutte contre le décrochage scolaire, vient de publier un nouveau conte ludique dans la collection « Hugo », intitulé Hugo prend son envol, dont l’objectif est cette fois d’apprendre aux enfants à travailler seuls. L’occasion de faire le point avec elle sur l’impact de la crise sanitaire sur l’éducation au sein de la famille. Rencontre.
Les enfants à leur entrée à l’école ont une curiosité et une soif d’apprendre. Qu’est-ce qui fait qu’à un moment, ils commencent à s’ennuyer à l’école ?
Anne-Marie Gaignard : De fait, je ne connais pas un enfant qui n’aie pas envie d’apprendre à lire quand il rentre en CP. Il sait qui va chez les grands, terminée la maternelle. Pour autant, la petite flamme peut s’éteindre, si l’enfant trouve l’apprentissage de la lecture long et difficile. Il s’attendait à autre chose, à lire vite, mais le temps de l’apprentissage le ralentit. Si personne ne s’en rend compte, alors oui, il commencera à ne plus y retrouver d’intérêt et l’ennui fera son apparition.
Il y a aussi de plus en plus d’enfants qui rentrent dans les apprentissages, mais qui les ont déjà faits entourés par leurs parents. En clair, certains enfants arrivent au CP et savent déjà lire… Alors là, c’est ce qu’il y a de plus terrible pour eux. Je sais lire et je dois me taire. Voici un deuxième motif qui amène l’ennui.
Est-ce que le confinement a pu être favorable aux enfants qui s’ennuient à l’école ?
Anne-Marie Gaignard : J’adore cette question ! Certains enfants ont aimé la présence de leurs parents en télétravail. Quel bonheur, maman à la maison… Ou chouette, papa est là aussi ! L’enfant se sent donc entouré et rassuré. Oui, le confinement a pu permettre aux enfants et aux parents de dialoguer plus que d’habitude. L’aide aux devoirs a été plus suivie, et donc évidemment, l’ennui s’en est allé. En revanche, tous les enfants ont besoin de leurs petits camarades pour s’amuser et se mesurer les uns aux autres. Cela ne peut donc durer qu’un temps pour la majorité d’entre eux.
Quelles ont été les difficultés majeures rencontrées par les enfants et les parents avec l’école à la maison ?
Anne-Marie Gaignard : De ce que j’en sais par les nombreux appels et témoignages des parents par téléphone… Au début du confinement, ils me disent qu’ils ont plutôt réussi à mettre en place une organisation familiale simple. Les parents d’un côté en télétravail, et les enfants de l’autre. Et deux temps de travail répartis au moment des pauses du père ou de la mère. Pour les enfants du primaire, ce fut évidemment plus simple, car la charge de travail à la maison est moindre.
En revanche, pour les collégiens et lycéens, les parents n’avaient pas vraiment l’habitude de les suivre de près et là, pour certains parents, c’est devenu l’enfer ! Ils ont découvert le fameux logiciel « Pronote ». C’est là où les cours à distance arrivaient. Tous, sans exception, ont détesté ce logiciel. Ils angoissaient de voir les nouveaux cours à absorber, et cela mettait une ambiance déplorable à la maison. Pourquoi ? Tous les enseignants envoyaient leurs devoirs à faire à la maison parfois à n’importe quelle heure de la journée (voire même tard le soir), et surtout en quantité. Ouvrir ce logiciel rendait les parents fous ! Ils angoissaient autant que leurs enfants de ce qu’ils allaient devoir apprendre en plus de ce qu’ils avaient déjà reçu, matière par matière… Quant aux jeunes, ils n’étaient évidemment pas du tout habitués à travailler ainsi, au coup par coup, et surtout de découvrir parfois les contenus sans avoir eu le cours…
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Quels conseils leur donneriez-vous dans l’éventualité d’un reconfinement ?
Anne-Marie Gaignard : Il me semble important justement de ne pas remettre la même pression qu’au premier confinement. Il faut « en famille » s’organiser, et donc à chacun de gérer son temps. Rien de mieux qu’un conseil de famille pour éviter les « disputes inutiles », prévoir l’endroit où s’installer (la cuisine n’est pas un endroit pour travail). Tous autour d’une même table peut déstabiliser autant les enfants que leurs parents. Alors il faut mettre un planning en place, un conseil de famille où tout le monde est bien d’accord sur l’organisation générale de la famille. Un climat de calme et de silence peut aussi être décrété.
On pense souvent qu’un enfant qui s’ennuie à l’école est un enfant précoce, ou inadapté au système éducatif classique. Est-ce le cas ?
Anne-Marie Gaignard : Difficile ici d’en faire une généralité. De fait, les enfants dit « précoces » s’ennuient très vite pour une raison simple : ce sont souvent des petits « rapides » en compréhension. En sus, ils réalisent les exercices ou évaluations vite et bien. Ils ont toujours terminé les premiers, et après l’ennui arrive au grand galop ! Ils attendent les autres… En clair, ils sont : soi très demandeurs de tâches supplémentaires, ce qui implique un travail supplémentaire pour l’enseignant afin de les occuper. Soi ils auront terminé aussi l’exercice, mais ils attendront patiemment que le temps passe… et là, ils décrochent. Ils ne veulent pas être repérés. Ils ont compris qu’il valait mieux se taire et ne pas bouger.
Le système éducatif classique est une sorte de vieille dame qui peine aujourd’hui à répondre aux enfants éveillés, qui bougent et qui sont dans la génération du « tout, tout de suite ». Il faudrait je pense, permettre aux enfants H.P.I de « sauter une classe ou deux », mais c’est encore très compliqué dans notre pays… Autre possibilité : les inscrire dans une école alternative et/ou une école spécialisée pour les H.P.I. Elles poussent comme des champignons… Comme c’est assez récent, il faut attendre les premières statistiques, mais je pense de toute manière que lorsqu’un enfant est malheureux, il faut le sortir de là.
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Apprendre… ça s’apprend. Quelles sont les clés pour (re)donner l’envie d’apprendre ?
Anne-Marie Gaignard : De fait, Hugo mon petit héro dans « Hugo prend son envol » trouve des clés pour qu’il reprenne le « goût d’apprendre ». Pas un enfant ne rêve d’être mauvais ! Non, son rêve est d’être reconnu par ses parents et par l’enseignant comme un enfant, éveillé, participatif, gai et doué… Rien de mieux qu’un conseil de famille. Une bonne discussion autour de la problématique des notes, des résultats. Il faut qu’il devienne autonome. Pour ce faire, les recettes sont simples : pour moi, apprendre en jouant, en mimant, en mettant en scène une pièce de théâtre sur un chapitre d’Histoire, rien de mieux pour l’éveiller. Debout sur ses pieds, seul dans sa chambre, il ne lui reste plus qu’à jouer » le prof ou la maîtresse », et tenir aussi le rôle de l’apprenant. Quoi de mieux que l’école inversée ?
Pour retrouver l’envie d’apprendre, vous dites qu’il faut apprendre à travailler seul. Donc avec moins de pression des parents ?
Anne-Marie Gaignard : Rien de pire que la pression des parents. Si un climat de confiance s’installe, la pression baissera. Si les résultats sont au rendez-vous, les parents devront évidemment féliciter leur progéniture. Il faudra tout autant lui répéter encore et encore que vous avez confiance en lui. Et la cerise sur le gâteau, c’est de lui dire : « je te fais confiance, je suis fier(e) de toi et tu vois, je ne regarderai plus tes devoirs du soir, mon chéri… » Il partira de chez lui, le matin, le coeur léger. Maintenant il sait qu’il peut travailler seul. Et souvent, ces enfants-là ne font plus jamais parler d’eux.
Entre école et devoirs à la maison, le temps scolaire prend-il trop de place dans la vie des enfants… jusqu’à tuer l’envie d’apprendre ?
Anne-Marie Gaignard : Oui, que les enfants soient scolarisés en primaire ou en secondaire, ce sont des ENFANTS et surtout pas des élèves à la maison ! Rien de mieux, si ça dérape, que de mettre en place un conseil de famille. Cela permet de se dire les choses dans le respect et de remettre du lien entre la fratrie et les parents. Une maman a parfaitement le droit de dire qu’elle est épuisée. Idem pour le père qui peut s’affaler dans le fauteuil, mort de fatigue après sa journée… Donc… l’enfant comprend que lui aussi, il a parfaitement le droit d’avoir des hauts et des bas. Il faut donc recadrer le temps de travail entre le petit en primaire et l’autre au collège. 25 minutes chez les petits, 1h maximum chez les collégiens et 1h30 chez les Lycéens. C’est largement suffisant ! Si les devoirs sont faits sous la forme de « l’école inversée » (je trouve les questions du devoir, je trouve les questions que le prof demandera demain), alors oui, l’envie d’apprendre reviendra !
Certaines activités stimulent la mémoire… et le lâcher prise. Quelles sont ces activités qui aident l’enfant à déconnecter du travail scolaire… pour s’y (re)mettre plus efficacement ?
Anne-Marie Gaignard : Le temps du travail scolaire est faussé en France. 2h chez un enfant du primaire, c’est de la folie. Donc, pour moi, le temps des devoirs est court chez les petits, et évidemment un peu plus long chez les collégiens. Je préconise des micros-pauses… 5 minutes pour souffler… S’allonger sur son lit dans sa chambre, écouter un peu de musique et s’y remettre. Mais vraiment, il peut faire ce qu’il veut quand le temps des devoirs est terminé.
Oui, il a le droit comme tout un chacun de lâcher prise quand sa journée est terminée. Il a la conscience tranquille, il a fait ce que les enseignants attendent de lui, il est organisé et sérieux alors tout est possible : regardez un peu la télé, lire un bouquin qui lui plaît, faire un petit tour de vélo, passer un coup de fil à un copain ou une copine… Bref, lorsqu’un jeune ou un enfant se sent en paix avec lui-même, tout roule.
Pour conclure, quels conseils donneriez-vous aux parents ?
Anne-Marie Gaignard : Faites-lui confiance, aidez-le seulement s’il vient vous solliciter, n’oubliez pas de le féliciter quand les notes commencent à remonter et surtout, dites-lui souvent que vous l’aimez comme il est !
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Bonjour, merci pour ces conseils qui me permettent de prendre du recul. Cordialement, Sahondra.